Entretien avec Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l’étiquette.Le collectif Éthique sur l’étiquette agit en faveur du respect des droits humains au travail, dans le monde. Il se bat aussi pour la reconnaissance du droit à l’information des consommateurs sur la qualité sociale de leurs achats.
Aleteia : Qu’est-ce que le travail décent ?
Nayla Ajaltouni : La notion du travail décent est un concept qui a été élaboré par l’Organisation internationale du travail. Il se définit autour de quatre piliers : la protection sociale, la non-discrimination, la liberté syndicale couplée au droit d’organisation et de négociation collective, et enfin le droit au salaire décent.
Il incombe aux États de mettre en œuvre ces principes partout dans le monde. Car tous les travailleurs doivent pouvoir en bénéficier, les salariés comme les travailleurs du secteur informel.
Qu’entendez-vous par salaire décent ?
Le salaire décent est le revenu qui permet à celui qui le perçoit de faire vivre décemment son foyer. Il doit aussi donner la possibilité aux plus démunis de sortir de la pauvreté. Si tout le salaire est dépensé pour la survie au quotidien et qu’il ne permet pas de bâtir un projet de vie ou de parer aux imprévus, alors il n’est pas décent.
N’y a-t-il pas déjà un salaire minimum ?
Dans de nombreux pays, il existe un salaire minimum. Mais le problème est que souvent ce salaire minimum n’est pas un salaire vital. Il n’est pas suffisant pour se procurer le minimum nécessaire pour vivre (nourriture, logement, vêtements, santé, éducation…). Dans les pays de production textile que connaît bien le collectif Éthique sur l’étiquette, comme le Bangladesh ou le Cambodge par exemple, le seul revenu d’un travailleur est son salaire. Il ne bénéficie d’aucune redistribution ou de protection sociale supplémentaire du fait de la défaillance de l’État.
Les multinationales ont-elles une part de responsabilité ?
En 2009, un mouvement d’organisations de base asiatiques s’est formé autour de la notion de salaire vital. Leur revendication est la suivante : là où les États sont défaillants pour imposer un salaire vital, il est de la responsabilité des multinationales qui tirent profit de ces bas salaires d’appliquer une telle rémunération à leur chaîne d’approvisionnement. Toutes ces grandes entreprises qui prétendent être des acteurs responsables de la mondialisation ont ainsi l’occasion de le prouver. Elles ne peuvent décemment pas tirer profit de la défaillance des États…
Mais nous sommes bien sûr conscients que les grandes entreprises ne doivent pas se substituer à la puissance publique. C’est pourquoi, en même temps que nous les interpellons sur leurs pratiques d’achat, nous soutenons aussi les mouvements sociaux dans leurs négociations salariales avec les pouvoirs publics et les employeurs.
Y a-t-il des avancées encourageantes ?
Les grands groupes textiles ont reconnu, sur la pression citoyenne, les grands principes internationaux encadrant le travail. Mais certains, à l’instar de Carrefour, ne reconnaissent pas encore le concept de salaire vital alors même qu’ils se considèrent comme des acteurs responsables. D’autre part, le salaire vital n’est plus une notion utopique proposée par les ONG. Il existe un indicateur. Les multinationales ne peuvent plus renier cette notion et continuer à créer de la pauvreté. Sous la pression citoyenne certaines réagissent et commencent à intégrer cette notion dans leur charte éthique.
Il y a aussi une conscientisation des consommateurs qui font maintenant le lien entre le bas prix d’un vêtement et la personne qui en paye le prix en bout de chaîne. Mais cela ne se traduit pas encore dans les comportements de consommation.
Pourquoi cette notion de salaire est-elle si cruciale ?
Depuis 2010, les principales revendications des mouvements de travailleurs du textile sont centrées sur la question du salaire, davantage que sur les autres violations du droit international du travail. Car le salaire représente un enjeu de survie qui va de pair avec le refus d’être exploité. La question du salaire vital est aussi liée à l’accès à l’ensemble des droits fondamentaux. C’est une question de vie et de liberté. C’est donc une question vitale.
Propos recueillis par Violaine Plagnol