Il fallait oser, une jeune Allemande l’a fait. Son « Charme discret de l’intestin » dit « tout sur un organe mal aimé » mais essentiel ! Son livre est devenu un best-seller.Ne dites plus “le poumon !” comme Toinette à Argan dans Le Malade imaginaire, mais “l’intestin” ! Giulia Enders a le même âge que Toinette et un humour non moins décapant, mais ses arguments sont nettement plus probants. Si cette jeune femme a tant creusé la question, c’est d’abord pour recouvrer elle-même la santé : victime d’une grave maladie de peau quand elle avait 17 ans, et médiocrement soulagée par la cortisone, elle a guéri en révisant de fond en comble ses habitudes alimentaires.
Dans la foulée, elle s’est lancée avec un appétit gargantuesque dans des études pointues de gastroentérologie. La rigueur et l’enthousiasme communicatif de cette brillante doctorante en médecine ont été récompensés par le Premier prix de la Nuit des sciences de Berlin. Grosse cerise sur le gâteau, elle a rencontré un phénoménal succès d’auteur puisque son livre, vendu à 1 million d’exemplaires en Allemagne, est aujourd’hui traduit dans une trentaine de langues.
Ce voyage labyrinthique tient de l’Odyssée
À propos de langues, Giulia ignore la langue de bois. Dans ce parcours guidé de la bouche à l’anus, elle nous dit tout, notamment, sur le caca et les flatulences qui lui font cortège, avec une décontraction malicieuse que partage sa sœur et complice Jill Enders, graphiste, qui nous dessine tout ça et le reste… Mais il n’y a pas que l’humour pour rendre, si l’on ose dire, digeste ce menu peu appétissant : Giulia a tôt fait de chasser tout dégoût et fausse pudeur chez son lecteur en lui donnant de s’émerveiller tout au long de cette visite du tube digestif.
Les performances et la complexité de l’intestin n’ont guère à envier à celles du cerveau – organe avec lequel il entretient des relations intimes. Le grand trek de nos aliments, les prodigieuses métamorphoses que l’estomac et l’intestin leur font subir à l’aide de la grande armée infiniment complexe et variée de 100 billions de bactéries, ce qui en résulte pour le sang, les muscles, la chair, les os, l’équilibre du corps entier, et jusqu’à la sérotonine cette «hormone du bonheur » diffusée dans le cerveau…ce voyage labyrinthique aux nombreuses péripéties tient plus de l’Odyssée que des contrepèteries moliéresques. D’autant que les conseils alimentaires et hygiéniques donnés chemin faisant ne doivent rien aux élucubrations des Diafoirus père et fils, mais tout au dernier état des recherches.
L’homme n’est pas qu’un roseau pensant…
Avis aux intellectuels distingués ! Tout l’homme n’est pas dans son cerveau, le roseau pensant est aussi un boyau digérant et pétant… le haut ne pouvant sonner la charge si le bas est en débandade. Raisonne-t-on “la peur au ventre” ? Est-on lucide avec “l’estomac noué” ou quand “on a les foies” ? Reste-t-on objectif quand on est “pris aux tripes”, garde-t-on sa sérénité avec “la courante” ? Voilà qui nous ramène au réalisme et à l’humilité, cette vertu fondamentale qui nous fait nous exclamer avec le psalmiste : “Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis” (Ps 138, 14). Étonnant, oui, de la tête aux pieds !
Le charme discret de l’intestin par Giulia Enders, traduit de l’allemand par Isabelle Liber, Actes Sud, 350 pages, 21,80 euros