La publication précipitée du décret officialisant la réforme des enseignements au collège est perçue comme une provocation par les opposants de tous bords.
Des poids lourds du gouvernement (Najat Vallaud-Belkacem, Christiane Taubira, Fleur Pellerin, Stéphane Le Foll) sont allés au feu dès l’aube de ce mercredi 20 mai, alors que les Français apprenaient la publication dans la nuit, quelques heures après une journée de grève et de manifestations, du décret et de l’arrêté relatifs "à l’organisation des enseignements au collège" au Journal officiel (Le Figaro).
Précipitation ou provocation ?
Manuel Valls a donc tenu sa promesse de faire passer "le plus rapidement possible" ce texte de l’état de projet à celui de texte officiel. Les opposants à la réforme n’ont pas manqué d’y voir "une provocation" et une "faute", à l’instar du SNES-FSU, premier syndicat du secondaire (classé à gauche). Un "scandaleux passage en force" pour le SNALC (sans couleur politique et donc souvent… classé à droite) qui avait confirmé à L’Express sa volonté de bloquer les épreuves écrites du brevet, fin juin.
François Bayrou, président du Modem et ancien ministre de l’Éducation nationale, a lui aussi dénoncé un "passage en force" et appelé à une "manifestation nationale" pour que "l’indignation se fasse entendre" (Le Monde). "C’est de fait un passage en force contre les Français, les profs, tous ceux qui sont mobilisés et, au-delà de la mobilisation de la rue, de ceux qui nourrissaient une inquiétude", a déclaré Nathalie Kosciusko-Morizet, numéro 2 de l’UMP. À l’Assemblée nationale, le chef de file des députés UMP, Christian Jacob, a réclamé l’abrogation du décret : "Publier ce décret cette nuit est un acte politique brutal, vous le paierez cher M. le Premier ministre", a-t-il lancé, en demandant "la tenue dans les plus brefs délais d’un véritable débat démocratique, projet contre projet" (BFMTV). "Entre la précipitation et la provocation, la frontière est parfois poreuse", commente Le Monde.
"Depuis deux mois qu’a été présentée la réforme, le débat public a surtout été porté par les politiques ou des personnalités qualifiées de "pseudo intellectuels" par Najat Vallaud-Belkacem. De jeunes blancs-becs aussi notoirement incultes que Régis Debray, Michel Onfray, Alain Finkielkraut, Jacques Julliard ou Pascal Bruckner…", rappelle ironiquement Causeur. "L’interdisciplinarité que la rue de Grenelle entend imposer aux enseignants en grignotant 20% de leurs heures de cours (…) nuira mécaniquement à la transmission des savoirs fondamentaux. Ajoutée à l’"autonomie" des chefs d’établissement, l’application de cette mesure autorisera les proviseurs à infléchir les enseignements à leur guise, aggravant les inégalités entre les collèges huppés et défavorisés. Quelle que soit leur étiquette (et leurs divergences réelles sur le projet éducatif), tous les syndicats s’accordent sur ce constat."
Égalitariste à l’école, social-libéral en économie
Dans La Vie, l’écrivain et journaliste Jean-Claude Guillebaud pointe pour sa part l’argument "égalitaire" mis en avant par Najat Vallaud-Belkacem et Manuel Valls pour supprimer les classes européennes. Il souligne la "contradiction politique" de ceux qui d’un côté prétendent combattre "l’élitisme" scolaire, et de l’autre exaltent "les patrons "gagneurs", les virtuoses surpayés du Cac 40, la logique boursière et les lois du marché" : "Peut-on être égalitariste quand il s’agit de l’école et "social-libéral" sur le terrain de l’économie ? Comment réagiront, demain, les générations de collégiens ? Elles auront été sensibilisées à l’exigence d’égalité mais devront s’intégrer à une société de plus en plus inégalitaire. La contradiction est sidérante, car les deux évolutions auront été encouragées, en profondeur, par les socialistes inconséquents".