Sous les yeux du monde entier, la marche républicaine de ce dimanche aura fait descendre 3,7 millions de citoyens dans les rues. Et après ?
C’était certainement la plus belle réponse à faire au terrorisme : l’unité. C’est donc une mobilisation sans précédent, « la plus grande jamais recensée en France », qui aura eu lieu dimanche, en hommage aux 17 victimes des trois attentats de ces derniers jours. Rien que dans les rues de Paris, on aurait recensé plus de deux millions de manifestants. Et cette fois, aucune polémique ne viendra ternir le comptage des passants : ils étaient si nombreux qu’ils étaient, au fond, innombrables !
Fallait-il en arriver là ?
Mais fallait-il attendre 17 morts pour en arriver là : pour voir ou revoir des citoyens, des millions de citoyens, de tous horizons, religions, partis, défiler paisiblement dans les rues, chanter la Marseillaise, se dire fiers d’être Français sans se faire taxer d’extrémisme ? Même les forces de police n’ont pas caché leur surprise de se voir ainsi applaudies par la foule sur leur passage.
Oui, fallait-il en arriver là, toucher le fond de la plus sanglante des manières pour rebondir, effacer les dénis et affronter une page blanche sur laquelle inscrire… Inscrire quoi, au fait ? Nul ne le sait encore, alors que des milliers d’innocents se font massacrer chaque jour par Boko Haram au Nigeria, ou par Daesh en Irak ou en Syrie, et que des milliers d’apprentis djihadistes se trouvent parmi nous, prêts ou non à passer à l’action, comme les trois terroristes tués ces derniers jours.
Quid des « combattants étrangers » ?
Le 11 janvier 2015 restera donc dans l’histoire de ce pays comme la date d’une mobilisation sans précédent contre le terrorisme, une image rare donnée au monde entier de solidarité, de fraternité et d’union dans l’adversité. Ce jour unique aussi de prouver qu’au-delà de la photo idéale de 50 dirigeants main dans la main, les Français n’ont pas attendu l’invitation des politiques pour descendre exprimer leur émotion dans la rue, sans avoir reçu d’invitation pour cela, entre larmes et gravité.
Mais pour qu’il y ait un dimanche 11 janvier historique (comme quoi, finalement, ce n’est pas si mal de ne pas travailler le dimanche), la France aura d’abord connu trois jours de carnage. La France est en guerre, qu’on le veuille ou non, que l’on ose ou non poser des mots sur les faits. L’hommage national rendu aux victimes ne fait pas taire les craintes, tant de la communauté juive (le nombre de départs vers Israël ayant doublé entre 2013 et 2014) que de la population en général. Car la lutte contre ceux que l’on appelle élégamment, avec le sens des circonvolutions linguistiques propre aux ministères, des « combattants étrangers » (comme on doit dire, dixit Laurent Fabius, « Daesh » et non « État Islamique », et « terroriste » au lieu d’« islamiste ») oblige à souligner un véritable fiasco français.
La France est devenue en quelques mois, bien loin devant ses voisins, le premier fournisseur de combattants au Moyen-Orient. Des jeunes gens en mal de repères, fanatisés, utilisés, mais qui massacrent civils et soldats et combattent notamment nos propres hommes en Irak. Des jeunes gens qui sont rentrés en France aussi facilement qu’ils en étaient sortis. Comment oublier la comédie ridicule de ces pieds nickelés du djihad de retour, se présentant d’eux-même au commissariat, surpris de ne pas avoir été interpellés dès leur arrivée à Marseille, système informatique dépassé oblige) ? Les ex-« combattants étrangers », combien de divisions ? Ils sont si nombreux que les moyens et les effectifs de nos forces de renseignement, s’ils ont permis d’en identifier environ un millier (sur combien, en vérité ?), ne permettraient pas de les suivre ou surveiller tous. Espérons juste, contrairement à ceux passés à l’action ces derniers jours, que nous surveillons les bons…
Un hashtag et une marche ne suffiront pas
Il ya quasiment un an, le monde entier s’est ému de l’enlèvement de près de 200 jeunes filles par Boko Haram. Un hashtag a fait le tour du monde (#BringBackOurGirls). Elles ne sont jamais revenues. Aujourd’hui, c’est #JeSuisCharlie qui a ému la planète et réuni le monde entier dans un élan de solidarité typique de l’émotion immédiate, et éphémère, que peuvent véhiculer les réseaux sociaux. Mais pour reconstruire une fierté nationale, un vivre ensemble ébréché, et éduquer une génération sans repères, il faudra bien plus qu’une marche et un hashtag. Maintenant, alors qu’est venu le jour d’après, quel avenir allons-nous, chacun, à notre mesure, dessiner sur cette page blanche ?