Depuis le dépôt du dernier recours judiciaire en faveur de la condamnée à mort, les appels à la grâce présidentielle se multiplient. Le Parlement européen vote une résolution.
À chaque fois que nous buvons un verre d’eau, pensons à Asia Bibi, suggère Hervé Bertho dans son éditorial de Ouest-France.
C’est en effet à cause d’une banale dispute entre villageoises autour d’un puits que cette mère de cinq enfants est en prison depuis cinq ans et condamnée à mort ! Avoir bu un verre d’une eau dont les musulmans du village revendiquent la possession l’a plongée dans l’engrenage fatal de la loi anti-blasphème, comme beaucoup d’autres, chrétiens ou non. C’était le 14 juin 2009. Depuis, la malheureuse et sa famille vivent un enfer. Elle est dans l’antichambre de la mort : sa condamnation ayant été confirmée le 16 octobre par la Haute cour de justice de Lahore (Aleteia), seules la Cour suprême ou la grâce présidentielle pourraient la sauver de la pendaison.
Dans le pays, ses soutiens risquent leur vie : Salman Taseer, le gouverneur (musulman) du Penjab, a été tué par son propre garde du corps pour avoir critiqué la loi sur le blasphème le 4 janvier
2011 ; moins de deux mois plus tard, le 2 mars 2011, Shahbaz Bhatti, le ministre (chrétien catholique) chargé de la protection des minorités religieuses, qui prônait une évolution de la loi, était abattu en pleine rue. Les juges qui se risqueraient à innocenter Asia Bibi deviendraient aussitôt des morts en sursis (Aleteia).
« On ne doit pas mourir pour un verre d’eau »
Alors que sa famille est à son tour menacée de mort, son mari, Ashiq, a adressé au monde entier à la mi-novembre une lettre déchirante : « Nous ne comprenons pas pourquoi le Pakistan que nous aimons s’acharne contre nous ». Il en appelle au président du
Pakistan : « Le bon moyen serait d’obtenir la grâce présidentielle. Nous sommes convaincus qu’Asia Bibi ne sera pas pendue seulement si le vénérable président du Pakistan, Mammoon Hussain, accorde son pardon. On ne doit pas mourir pour un verre d’eau » (Le Figaro).
Après le pape François, l’Action des chrétiens contre la torture (Acat), le maire de Paris, Anne Hidalgo, a proposé d’accueillir Asia Bibi et les siens : « J’espère que nous serons chez vous vivants, et pas morts, lui répond Asia par l’intermédiaire de son mari. Vous êtes ma seule chance de ne pas mourir au fond de ce cachot. S’il vous plaît, ne me laissez pas tomber » (Le Figaro Vox).
Une « résolution » du Parlement européen
Le Parlement européen a voté jeudi 27 novembre une résolution dénonçant les lois sur le blasphème en vigueur au Pakistan : « Les députés expriment leur inquiétude à propos des "lois controversées" sur le blasphème au Pakistan, en raison desquelles "il est dangereux pour les minorités religieuses de s’exprimer librement ou de participer publiquement à des activités religieuses". Ils appellent le gouvernement Pakistanais de "procéder à une révision en profondeur des lois et de l’application qui en est faite" et de "garantir l’indépendance des tribunaux, l’état de droit et le respect de la légalité conformément aux normes internationales en matière de procédures judiciaires". Ils demandent également à la Commission européenne d’aider les communautés religieuses et "d’inciter fortement le gouvernement pakistanais à prendre davantage de mesures pour protéger les minorités religieuses" ».
Cette résolution est due à l’initiative de deux eurodéputés français, anciennes ministres, Rachida Dati et Michèle Alliot-Marie (Direct Matin). Elles avaient tenu le 26 novembre, veille du vote, une conférence de presse, conjointement avec la journaliste Anne-Isabelle Tollet, auteur de Blasphème, le livre qui a fait connaître le cas d’Asia Bibi. Celle-ci a dénoncé la « spirale sans fin » de la loi anti-blasphème.
« Les juges n’osent pas se prononcer en faveur de présumés blasphémateurs de crainte d’être à leur tour accusé de blasphème (…) les gens n’osent plus jeter un journal sur lequel est écrit Mohamed, le prénom le plus répandu au Pakistan, de crainte d’être accusé de blasphème. »
« Si l’Europe ne défend pas les chrétiens, qui le fera ? »
Rachida Dati et Michèle Alliot-Marie ont rappelé qu’en plus de cette résolution, elles avaient posé le 3 novembre une question écrite sur le cas d’Asia Bibi à la nouvelle haute représentante pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, « en lui demandant une intervention très forte », a souligné Michèle Alliot-Marie. Cette question a été cosignée par 53 parlementaires. Mme Mogherini doit leur répondre en leur indiquant « très précisément quelles sont les actions qui peuvent être menées, et en quoi la Commission et les Institutions européennes peuvent être engagées », a précisé Rachida Dati devant les journalistes réunis à Strasbourg. « Si l’Europe ne défend pas les chrétiens, qui le fera ? », s’est interrogée Rachida Dati, évoquant le discours prononcé par le Pape, vingt-quatre heures plus tôt, au même endroit, à Strasbourg (Aleteia). « Nous avons besoin d’être fiers de nos racines chrétiennes. C’est cette conscience de notre identité qui nous permet aussi de nous ouvrir aux autres, et d’être respectueux des autres », a-t-elle plaidé (Paris-Match).
Contre le pour
rissement, l’arme économique
Et maintenant, que va-t-il se passer pour Asia Bibi ? Il n’y a pas grand-chose à attendre de la Cour suprême. Les autorités pakistanaises jouent le pourrissement, constate Anne-Isabelle Tollet. Selon elle, il peut encore se passer « trois ans » pour qu’Asia Bibi soit rejugée : « Ce que cherche le Pakistan depuis 5 ans maintenant, c’est que cette histoire tombe aux oubliettes ». À moins, bien sûr, d’une grâce présidentielle. « Aujourd’hui, le président n’est pas en mesure d’user de sa prérogative, parce qu’il y a des risques d’émeutes dans son pays », estime Rachida Dati. Les pressions diplomatiques et économiques finiront-elles par l’emporter sur les menaces des fondamentalistes ? « L’UE a permis au Pakistan d’intégrer ce que l’on appelle le SPG+, explique Rachida Dati dans une interview à Direct Matin. Concrètement, l’UE octroie des réductions de droits de douane pour stimuler les exportations des pays en développement. L’octroi du statut SPG+ dépend de la ratification et de la mise en œuvre de 27 conventions internationales, dont beaucoup ont trait aux droits de l’homme. Nous pouvons en faire un moyen de pression. »
L’Union européenne est le premier partenaire commercial du Pakistan (7,6 milliards d’euros), devant les Émirats arabes unis (5,3 milliards d’euros), la Chine (5,1 milliards d’euros), l’Arabie saoudite (4,3 milliards d’euros) et les États-Unis (3,8 milliards de dollars) (Commission européenne).