Les débats autour des rythmes scolaires ou l'enseignement des "études de genre" ne font que masquer le véritable problème qui mine l'école française et ses méthodes.
Ce qui est peut être l’aspect le plus frustrant du débat politique français est que, bien trop souvent, le problème n’est pas tant les réponses à poser aux questions que les questions elles-mêmes et les prémisses qui les sous-tendent. Les débats autour de l’Education nationale sont particulièrement symptomatiques.
Prenons le débat autour des rythmes scolaires. Vaut-il mieux avoir cours le mercredi matin ou pas ? Je continue de refuser de répondre à cette question, parce que la prémisse absolument absurde et destructrice est l’idée qu’il puisse y avoir une réponse à cette question qui s’appliquerait également à tous les enfants de France et de Navarre. Le problème de la question n’est pas la réponse – cours le mercredi matin ou pas – mais la prémisse – l’idée que tous les enfants de France doivent rentrer dans le même moule et être éduqués de la même manière.
Une phrase que j’aime beaucoup est “Les débats entre universitaires sont si furieux parce que les enjeux sont si petits.” La phrase est en apparence paradoxale, mais en réalité non : si tout ce que vous avez c’est un quignon de pain, vous vous battrez jusqu’à la mort pour le garder. Si vous avez échoué dans vos ambitions de jeune universitaire d’être un grand intellectuel qui révolutionnera son domaine, tout ce qui vous reste c’est de pouvoir faire des petites contributions dans des journaux lus par trois autres universitaires tout aussi jaloux de leur quignon de pain. De la même manière, de nombreux débats publics semblent refléter un désaccord profond, mais ce désaccord profond cache un accord plus profond encore sur quelque chose que tout le monde sait mais que personne ne peut s’avouer, et qu’on cache donc en inventant des débats.
C’est le cas du débat autour de l’enseignement des “études de genre” à l’école. Faut-il enseigner les études de genre aux petits enfants ? Personne ne semble plus farouchement adverses, avec des visions du monde plus diamétralement opposées, que les partisans et les opposants des études de genre à l’école. Pourtant ils sont en accord fondamental sur le point qui sous-tend le débat : les deux camps sont d’accord pour penser que l’école de la République est capable de transmettre de la culture et transmet de la culture. Les partisans des études de genre sont partisans des études de genre parce qu’ils pensent que si on enseigne les études de genre à l’école, ça changera la manière de vivre et de penser des élèves – ce sur quoi les opposants sont parfaitement d’accord, ce qui est pourquoi ils s’y opposent si furieusement.
Il me semble que l’évidence, que tout le monde sait et que personne ne veut admettre, est que depuis au moins cinq ou six décennies, l’école est en réalité tout à fait incapable de transmettre de la culture, et que quoi qu’on mette au programme, ça ne changera pas fondamentalement la manière de vivre et de penser des élèves. Les élèves aujourd’hui sont bien plus formatés par (par exemple) la télé que par l’école. C’est la réalité que tout le monde sait mais que personne ne veut admettre, parce que personne ne sait comment y répondre, donc on invente des débats pour la nier.