Sébastien de Courtois, journaliste spécialisé dans les minorités chrétiennes d'Orient, revient sur l'abandon de l'Irak par la communauté internationale.
Mardi 8 juillet, une journée de mobilisation et d'action contre la disparition des chrétiens d'Irak a été organisée à Paris et à Sarcelles, ville où se trouve l'une des plus grandes communautés assyro-chaldéennes d'Europe. Atlantico a interrogé Sébastien de Courtois, journaliste spécialisé dans les minorités chrétiennes d'Orient. Il est également producteur et animateur de l'émission dominicale Chrétiens d'Orient chez France Culture. Il est aussi l'auteur de "Le nouveau défi des chrétiens d'Orient : d'Istanbul à Bagdad" aux Editions JC Lattes.
A Mossoul, deuxième ville d'Irak, c'est la première fois depuis 1600 ans qu'aucune messe n'est plus célébrée le dimanche. Et pour cause, il n'y resterait plus aucun chrétien. Quel sort leur est actuellement réservé par l'Etat islamique ?
Sébastien de Courtois : Je ne sais pas s’il s’agit vraiment de la première fois qu'aucun messe n'est dite un dimanche depuis seize siècles – qui le sait vraiment ? – mais il est certain que les temps qui s’annoncent pour les chrétiens de Mossoul, pour ce qu’il en reste du moins, vont être terriblement difficiles… Très peu d’informations filtrent et le peu qui ont été recueillies sont contradictoires, mais tous les chrétiens dont j’ai eu des nouvelles sont déjà partis. Il n’y a pas le choix. Qui accepterait de vivre sous un tel obscurantisme ? Depuis que le pseudo calife s’est auto-proclamé, on n’a aucune idée de ce qu’il se passe sur place. Quoi qu’il en soit, le nouveau calife n’a aucune légitimité et la situation des chrétiens est très périlleuse. Ce pseudo Etat – je ne sais même pas si on peut l’appeler ainsi – est composé d’environ 15 000 personnes et règne par la terreur. C’est-à-dire que tous ceux qui ne correspondent pas à leur point de vue, y compris dans l’Islam, soit des musulmans qui selon eux ne respectent pas la loi, leur loi, en font les frais.
Les chrétiens, eux, sont là par hasard et en même temps non. Ils sont la plus ancienne communauté installée en Irak. Ils sont là depuis la fondation de la Mésopotamie. Concernant les exactions dont ils pourraient être victimes aujourd’hui et demain, il y a beaucoup de rumeurs, mais nous devons nous garder de tout catastrophisme prématuré. On ne peut pas encore parler de massacre, ni d'exécutions de masse comme ce fut peut-être le cas avec les chiites. Mais hélas, nous pouvons nous attendre à des dérapages, qui n'en seraient pas bien entendu. Il faut savoir que la situation des chrétiens en Irak et en Syrie n’a jamais été facile. Les massacres réguliers, notamment de 1860 à Damas et de 1933 à Simele près de Mossoul, ont marqué profondément l’histoire des chrétiens d’Irak et de Mésopotamie. Le problème qui se pose maintenant est celui de leur devenir, et surtout de leur protection. Personne ne les protège, hormis les Kurdes. Actuellement tout le monde est dans l’expectative. On ne sait pas ce qui va se passer mais on est en droit d’être très inquiet.
Pour ce qui est du gouvernement français, il n’a eu aucune réaction digne de ce nom. Nous abritons des chrétiens d’Orient depuis longtemps et nous avons même le droit de prendre leur défense, comme nous pouvons le faire avec d’autres. Mais nous sommes englués dans notre vision passéiste de la laïcité, qui nous paralyse dans notre prise de décision, dans la parole même, ce qui revient à une atteinte même à la liberté d'expression et à un déni de réalité…