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Face aux crises des jeunes communautés : les bienfaits de l’institution

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Simone Risoluti

Père Thierry-Dominique Humbrecht - La Nef - publié le 05/07/14

Comment expliquer les crises et même les scandales qui affectent périodiquement des communautés nouvelles et leurs fondateurs ? Quelles leçons en tirer ? L’analyse du Père Thierry-Dominique Humbrecht, o.p.*

(Légende photo : des Légionnaires du Christ.)

Article paru dans La Nef  (n°261 de juillet-août 2014) et republié par Aleteia avec autorisation de l’auteur et de l’éditeur.

Les scandales qui, dans l’Église, impliquent des fondateurs connus de communautés religieuses peuvent légitimement déstabiliser. Il n’est pas inutile de réfléchir aux causes de tels scandales, et notamment au contexte trop laxiste des années 70 et bien prendre en compte combien l’institution ecclésiale est nécessaire pour structurer et orienter les jeunes communautés.
Un animal blessé se retire dans son terrier pour lécher ses plaies. Ces années-ci, les catholiques, pas seulement en France mais aussi en France, ont eu à porter les annonces abasourdissantes d’actes répréhensibles posés par certaines personnalités spirituelles, notamment prêtres fondateurs de communautés et connus pour leur charisme personnel. Ces personnalités furent souvent des phares dans les années difficiles. Le plus triste n’est ni le péché ainsi révélé, ni même le sentiment de trahison qui peut saisir nombre de fidèles. Outre les dégâts commis, il s’agit du contraste, chez une même personne incriminée, entre le rayonnement et la part d’ombre.
Beaucoup s’interrogent sur les causes de tels phénomènes en tant que récurrents. Parce qu’ils les ont vécus. Parce qu’ils les ont subis. Parce qu’ils se sont trouvés dans l’œil du cyclone des autres. Parce qu’ils cherchent, comme tout un chacun, à comprendre. Est-il possible d’y réfléchir posément, hors actualité, hors polémique, comme en un brouillon de discernement, à seule fin de nommer les choses, pour mieux y porter remède ?
Le courage de faire la vérité
Un fil rouge ? Il faut rendre hommage aux supérieurs qui, dans leurs communautés aujourd’hui secouées, ont le courage de faire la vérité, comme peu d’institutions profanes oseraient s’y résoudre (l’oligarchie politique le prouve a contrario aussi souvent que nécessaire). Ces supérieurs, qui le plus souvent arrivent après les combats, portent les incompréhensions des uns, la peine des autres et, surtout, la considération des éventuelles victimes.
Toutefois, à travers ces événements, une question se pose. Il semble s’agir d’autre chose que d’un linge sale déballé en public. Un fil rouge se laisse voir entre des situations différentes, comme si notre époque avait sécrété de telles errances. Peut-on rendre raison de ce qui s’est passé, peut-on trouver des causes communes à des effets semblables ? Ces causes peuvent tenir aux individus en tant que pécheurs, elles peuvent aussi relever de structures collectives, les conditionnements d’une société. Personne ne vit hors du monde, même ceux qui ont renoncé à ses prestiges et à ses séductions.

La perte de l’écosystème ecclésial.
 Les années qui suivirent Vatican II furent celles d’une crise qui affecta l’institution. L’Église se vit contestée par ceux qui continuaient néanmoins à vivre d’elle, semant le trouble partout et poursuivant bourgeoisement leur marche au pouvoir culturel. D’innombrables lieux de formation intellectuelle et spirituelle fermèrent par autodestruction, sous les applaudissements des uns et l’aveuglement des autres. Dans les années 70, des prêtres ou des laïcs, dotés de fortes personnalités, réagirent et cherchèrent à sauver ce qui pouvait l’être. Certains fondèrent des communautés, qui virent affluer des centaines de jeunes en recherche de radicalité et de ferveur. La vitalité de ces communautés finit par s’imposer, et permit ainsi un certain renouveau. Tout cela avec l’accord de Rome, mais comme en marge des institutions locales, qui souvent comprenaient mal leurs objectifs, pour des raisons diverses de distance, entre idées, réseaux et géographie.



Malgré les apparences, alors qu’il s’agissait pour ces jeunes fondations de sauver le sens de l’institution, c’est l’institution qui leur a cependant doublement fait défaut, à leur naissance et pendant leur croissance, obligées qu’elles étaient de se développer un pied dehors et un pied dedans. L’écosystème de l’Église leur a manqué, vivificateur, régulateur et facteur de pluralité. Les plus opposés à cette époque soixante-huitarde, laquelle bradait toute forme d’autorité et d’institution, continuaient à dépendre d’elle sans le savoir. Ils reproduisaient à l’envers le déficit des normes, au moment où ils s’en réclamaient.
Le piège de la starisation.
La faiblesse de l’institution se traduit par une excroissance de l’affectif. La règle objective, autorité fondée en raison et expliquée en vérité, préserve de la volonté de puissance. Elle libère de soi, de l’amour fusionnel et des caprices des autres. Lorsqu’au contraire et par ailleurs la société civile invite à la liberté sexuelle, tout exercice de l’autorité devient un jeu de relations où la séduction prend une place indue. Même le rapport des chrétiens à leurs prêtres n’en sort pas intact. Un exemple amusé : les meilleurs magazines catholiques continuent à présenter tel jeune prêtre « pas comme les autres » (critère médiatique de la différence) en décrivant ses qualités physiques de « beau gosse » (critère érotique, impensable jadis), pour finir par son « rayonnement spirituel » (critère libéral de la réussite). Tout cela crée une situation de surexposition des figures de référence.
C’est à une telle surexposition que nombre de fondateurs ont été soumis, des années durant, en interne comme en externe. Nul ne sort intact des feux de la rampe. Surexposition de la fondation, de la paternité, du talent, du prophétisme, du succès autant que des contestations, de l’enseignement, du gouvernement, tout concourait à édifier leur image et même leur statue. Dans ce contexte de suppléance, la forte demande du public a parfois rencontré leurs propres failles et suscité une offre typique de l’époque : un ministère spirituel trop personnalisé, starisé, où les règles s’effacent au profit du charisme personnel, parfois à la limite, quoique le plus souvent inconsciente, de la manipulation. Ce système apparemment sans normes s’enraye lorsqu’il commence à s’instituer. Le déséquilibre instaure un désordre. Le réseau des relations remplace le tissu ecclésial. L’intuition fondatrice, qui reste excellente, ne bénéficie plus assez de l’action modératrice de l’Église, de points de vue et de références diversifiés. On en vient à perdre la capacité à se remettre en question, à entendre des avis multiples, à accepter de vivre d’inévitables oppositions. La volonté d’unité fusionnelle l’emporte sur le respect de l’altérité. L’asphyxie guette. Des dysfonctionnements personnels et collectifs apparaissent.

Des occasions manquées ?
Pourquoi l’Église n’est-elle pas intervenue ? Il eût sans doute suffi de quelques réglages pour éviter les distorsions (ce qu’on appelle notamment des visites canoniques). Certes, mais Rome n’a pas à se mêler à tout propos de la vie de ses membres, elle n’est pas une police de la pensée. En outre, pour de nombreux témoins, ces communautés connaissaient une telle vitalité qu’une tolérance a pu s’exercer longtemps. On ne voyait pas ou l’on ne voulait pas voir. Les qualités l’emportaient sur ce que l’on percevait des défauts. Fallait-il s’inquiéter de ceux qui proclamaient fidélité au siège de Pierre ? Fallait-il chercher des poux dans ces institutions jeunes et enthousiastes, alors qu’on fermait les yeux sur celles, plus établies, qui se sabordaient ?



Des mauvais plis ont pu être pris, et ne parlons pas ici des cas exceptionnels où le mal fut systématiquement couvert et caché. Il y eut sans doute des occasions manquées, des mollesses, des opacités, le respect excessif de charismes qui s’annonçaient novateurs, le désir trop répandu de ne pas faire de vagues, peut-être aussi un sentiment d’impuissance. En outre, tout travail d’accompagnement ecclésial est à croissance lente, il cherche à construire et non à dénoncer, à faire progresser et non à jeter le moindre manquement aux pourceaux de la presse à scandale. Que resterait-il des couples, des familles, des entreprises, des écoles, des partis politiques, des institutions républicaines et finalement des critiques eux-mêmes, si leur meilleur manquement hebdomadaire était rendu public ? Le pharisaïsme guette tout assoiffé de justice.

Le charisme dans l’institution.
Quelques leçons à en tirer, de mon modeste point de vue, pourraient être les suivantes.

1) Tout péché a des termes. Il se nomme pour recevoir son pardon. La perte contemporaine du péché, au profit des notions inexactes et floues de « limite » et de « blessure », sans parler du « droit à la différence » et de la catégorie fausse du « mal absolu », ont renforcé la confusion. Un péché n’est que lui-même, dès qu’il est identifié sous le regard de Dieu et dans son identité morale, mais encore faut-il qu’il le soit. La vérité a soif d’objectivité.

2) Si le mal a des termes, il a aussi des bornes. Il convient de ne pas brûler ce qu’on a adoré. Le pire serait de passer d’un extrême à l’autre : tel prêtre, qui a guidé ma vie, que je croyais être un saint, est resté, sur tel point, un pécheur. Je l’apprends vingt ans après. Il n’en est pas pour autant en tout point répréhensible. Le bien qu’il a fait, il l’a fait. Soyons adultes dans notre perception du mal, pas infantiles. Il n’y a pas les bons et les méchants. La sainteté chrétienne est le terme d’une vie de conversion, pas un point de départ.

3) Il va sans dire que, dans les cas où les errances relèvent du pénal, parce qu’elles ont attenté à des personnes qui restent ainsi leurs victimes, il convient que la justice s’exerce, justice civile ou ecclésiastique, ou bien les deux, selon les situations. La charité ne dissimule pas la vérité. Tout autre est la question de la publicité médiatique faite aux événements, laquelle peut masquer par son désir de faire justice son goût du stupre et du lucre. Toutefois, eu égard aux différentes affaires, règne aujourd’hui dans l’Église sur ces questions une sensibilité aussi vive que douloureuse. Ceux qui ont à y travailler travaillent de leur mieux, loin du vacarme.

4) La nécessité de l’institution ecclésiale apparaît plus que jamais. Elle nourrit l’écosystème de la communauté chrétienne, c’est-à-dire la pertinence des projets, leur bon fonctionnement, un légitime pluralisme et l’application du droit de l’Église. D’où l’hypocrisie des pourfendeurs de l’institution, qui ne vivent cependant que par elle, parasitaires comme du gui sur un chêne, et déclarent s’étouffer d’indignation des fautes des représentants de celle-ci. Ils dénoncent le pouvoir lorsqu’ils ne l’exercent pas eux-mêmes, sans daigner considérer qu’il est un service du bien de la communauté.

5) Les communautés touchées par de telles crises sont à présent convalescentes. Aidées par l’institution à aller jusqu’au bout de la vérité et donc aussi de la justice et de la charité, elles se reconstruisent, à vitesse humaine. Ces communautés méritent notre admiration. La grâce guérit la nature pécheresse, mais au rythme de la nature elle-même.

6) Pour vivre l’obéissance, trois éléments paraissent essentiels.


a) Il faut expliquer les raisons d’obéir. Rien n’est plus contraire à la vertu d’obéissance que le commandement à l’aveugle, jusqu’à la perversion.
 b) Un brin de collégialité assouplit le cuir des communautés. Nul n’est détenteur des lumières de l’Esprit Saint, qu’il impose sa volonté de façon autoritaire ou par une emprise affective.
c) Ce qui sauve les communautés et leur donne leur respiration, ce sont les élections régulières et le remplacement normal de leurs cadres.
La vie sourd à nouveau, dès que le charisme s’incarne dans et par l’institution. La règle rend libre. Ce qui revient à prendre de définitives distances avec le soixante-huitisme ecclésial autant que sociétal.

*Thierry-Dominique Humbrecht  est religieux dominicain, écrivain, théologien, philosophe, lauréat de l’Académie des sciences morales et politiques.

Tags:
Église
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