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Pape François : le texte intégral de son interview romaine

Pope Francis Evangelical Catholic AP Photo Gregorio Borgia – fr

AP Photo/Gregorio Borgia

Il Messaggero - publié le 01/07/14

Retrouvez la traduction dans son intégralité de l'interview donnée par le pape François au quotidien romain Il Messagero.

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Dans les colonnes du quotidien italien Il Messagero, le pape François a abordé des thèmes aussi variés que la corruption, la fonction d’évêque de Rome, le déclin actuel de la politique, le communisme, et la femme, « la plus belle chose que Dieu ait créée ». Il a longuement évoqué aussi la question de la foi en Asie, l’exploitation des enfants. Et, selon le Pape, nous nous trouvons dans " une nouvelle ère qui alimente la décadence morale, non seulement politique, mais aussi dans l’entreprise ou le contexte social. "

Voici le texte intégral de son entretien avec la journaliste Franca Giansoldati (Il Messagero) :

C’est le moment du match Italie-Uruguay. Saint Père, qui soutenez-vous ?
Moi, vraiment personne, j’ai promis à la présidente du Brésil de rester neutre !

Nous commençons par Rome ?  
Mais savez-vous que je ne connais pas Rome ? Songez que j’ai vu la chapelle Sixtine pour la première fois lorsque j’ai participé au conclave qui a élu Benoît XVI (en 2005, ndr). Je ne suis pas allé non plus dans les musées. Le fait est que, comme cardinal, je ne venais pas souvent à Rome. Je connais Sainte-Marie-Majeure car j’y allais toujours. Et aussi San Lorenzo hors les murs, où je me rendais pour les confirmations du temps de don Giacomo Tantardini. Je connais bien sûr la Piazza Navona parce que je résidais toujours via della Scrofa, là derrière.  

Y a-t-il  un peu de romain dans l’argentin Bergoglio ?  
Peu et rien. Je suis avant tout piémontais, ce sont les racines originelles de ma famille. Mais je commence à me sentir Romain, je désire aller visiter le territoire, les paroisses. Ainsi, je découvre petit à petit cette ville. Une ville magnifique, unique, avec les problèmes des grandes villes métropolitaines. Une petite ville possède une structure presque univoque; une métropole, en revanche, englobe sept ou huit villes imaginaires superposées, à différents niveaux. Au niveau culturel aussi. Je pense par exemple aux tribus urbaines de jeunes. C’est pareil dans toutes les métropoles. En novembre nous allons organiser  à Barcelone un congrès consacré justement à la pastorale des métropoles […] Des villes dans la ville. L’Eglise doit savoir répondre aussi à ce phénomène.

Pourquoi, dès le début, avez-vous tant tenu à souligner la fonction de l’Evêque de Rome ?
Le premier service de François, c’est celui-là : être l’Evêque de Rome. Tous les titres du Pape, Pasteur universel, Vicaire du Christ, etc., il les détient parce qu’il est Evêque de Rome. C’est la première élection. La conséquence de la primauté de Pierre. Si demain le Pape voulait être évêque de Tivoli, il est clair qu’on le rejetterait.

Il y a quarante ans, avec Paul VI, le Vicariat a promu la conférence sur les problèmes de Rome. Est apparue l’image d’une ville dans laquelle celui qui avait beaucoup, avait le meilleur ; et celui qui avait peu, avait le pire. Aujourd’hui, selon vous, quels sont les maux de cette ville ?
Ce sont les maux des grandes villes, comme Buenos Aires. Il y a ceux qui, de jour en jour, accroissent leurs profits, et ceux qui s’appauvrissent. Je n’étais pas au courant de ce congrès sur les problèmes de Rome. Ce sont des questions très romaines, et j’avais alors 38 ans. Je suis le premier Pape à n’avoir pas pris part au Concile et le premier à avoir étudié la théologie après le Concile. Et, à l’époque, pour nous la grande lumière  était  Paul  VI. Pour moi, Evangelii Nuntiandi reste le document pastoral jamais dépassé.  

Existe-t-il  une hiérarchie des valeurs à respecter dans la gestion des affaires publiques ?  
Assurément. Toujours sauvegarder le bien commun. Telle est la vocation de tout homme politique. Un concept large qui englobe, par exemple, la protection de la vie humaine, de sa dignité. Paul VI faisait l’éloge de la politique « la forme la plus haute de la charité ». Aujourd’hui, le problème, c’est que la  politique – je ne parle pas seulement de l’Italie, mais de tous les pays – est discréditée,  ruinée par la corruption, par le phénomène des pots-de-vins. Il me vient à l’esprit un document que les évêques français ont publié il y a 15 ans. Une lettre pastorale intitulée : Réhabiliter la politique, qui abordait ce thème. S’il n’y a pas service à la base, on ne peut pas comprendre non plus l’identité de la politique.  

La corruption sent le pourri, avez-vous dit. Et aussi que la corruption sociale est le fruit d’un cœur fermé, pas seulement de circonstances extérieures. Il n’y aurait pas de corruption sans cœurs corrompus. Le corrompu n’a pas d’amis, mais des idiots utiles.Pouvez-vous mieux nous l’expliquer ?
J’ai parlé deux jours de suite de ce thème parce que je commentais la lecture de la Vigne de Naboth. Le premier jour, j’ai abordé la phénoménologie de la corruption, le deuxième jour comment finissent les corrompus. Le corrompu, de toute façon, n’a pas d’amis, seulement des complices.



Selon vous, si on parle autant de corruption, est-ce parce que les médias insistent trop sur la question, ou qu’il s’agit effectivement d’un mal endémique grave ?  
Non, hélas,  il s’agit d’un phénomène mondial. Il y a des chefs d’Etat en prison à cause de cela. J’y ai beaucoup réfléchi, pour parvenir à la conclusion que les maux se multiplient, surtout durant les changements d’époque. Nous ne vivons pas tant une époque de changements, qu’un changement d’époque. Il s’agit donc d’un changement de culture; et c’est précisément dans cette phase qu’émerge ce genre de choses. Le changement d’époque alimente la décadence morale, non seulement en politique, mais aussi dans la sphère financière ou sociale.

Les chrétiens non plus ne semblent pas briller par leur témoignage…
C’est l’environnement qui favorise la corruption. Je ne veux pas dire que tous sont corrompus, mais je pense qu’il est difficile de rester un honnête homme dans la politique. Je parle du monde, pas de l’Italie. Parfois certaines personnes  voudraient faire les choses au clair, mais elles se trouvent en difficulté, c’est comme si elles étaient phagocytées par un phénomène endémique, à divers niveaux, transversal. Non que ce soit la nature de la politique,  mais parce que lors d’un changement d’époque, les pressions se sont plus fortes.  

Avez-vous plus peur de la pauvreté morale ou matérielle d’une ville ? 
 Les deux m’effraient. Quelqu’un qui a faim, par exemple, je peux l’aider à ce qu’il n’ait plus faim, mais s’il a perdu son travail et qu’il est au chômage, il s’agit d’une autre pauvreté. Il n’a plus de dignité. Il pourrait sans doute aller à  Caritas et ramener chez lui un paquet de nourriture, mais il vit là une pauvreté très grave qui lui ronge le cœur. Un évêque auxiliaire de Rome  m’a raconté que beaucoup de personnes vont dans les cantines ou les restos et, remplis de honte, ramènent en cachette la nourriture chez eux. Leur dignité se paupérise petit à petit, ils vivent dans un état de prostration.

Dans les rues de Rome on voit des petites filles de 14 ans  contraintes de se prostituer dans l’indifférence générale, tandis que dans le métro on assiste à la mendicité des enfants. Vous sentez-vous impuissant face à cette dégradation morale ?
J’éprouve de la douleur, une énorme douleur. L’exploitation des enfants me fait souffrir. C’est pareil en Argentine. On emploie des enfants pour des travaux manuels parce qu’ils ont des mains plus petites. Mais les enfants sont victimes aussi d’abus sexuels, dans des hôtels. Un jour, on m’a averti qu’il y avait des petites filles de 12 ans prostituées dans les rues de Buenos Aires. Je me suis renseigné, et c’était exact. Cela m’a fait mal. Encore plus de savoir que s’arrêtaient  de grosses voitures conduites par un vieillard, qui pourrait être leur grand-père. Ils payaient la petite fille 15 pesos, avec quoi ils achetaient les déchets de la drogue. Pour moi, les personnes qui font cela à des petites filles sont des pédophiles. Cela arrive aussi à Rome. La Ville Eternelle, qui devrait être un phare pour le monde, est le miroir de la dégradation morale de la société. Je pense que ce sont des problèmes qui se résolvent avec une bonne politique sociale.  

Que peut faire la politique ?
Répondre de façon claire. Par exemple avec des services sociaux qui suivent les familles pour comprendre, en les accompagnant pour les sortir de situations très difficiles.  Le phénomène traduit une déficience de service social dans la société.

Mais l’Eglise travaille dur…  
Et doit continuer à le faire. Il faut aider les familles en difficulté, un travail qui nécessite de plus en plus l’effort de tous.  



À Rome, de plus en plus de jeunes ne vont pas à l’église, ne font pas baptiser leurs enfants, ne savent même pas faire leur signe de croix. Que faire pour inverser cette tendance ?  
L’Eglise doit sortir dans la rue, aller à la rencontre des gens, visiter les familles, aller aux périphéries. Ne pas être une église qui se contente de recevoir, mais qui offre.

Et les prêtres ne doivent pas se tourner les pouces…
Evidemment. Nous sommes dans un temps de mission depuis une dizaine d’années. Nous devons insister  

Etes-vous préoccupé par la culture de la dénatalité en Italie ?
Je pense qu’il faut travailler davantage pour le bien commun des enfants. Fonder une famille est une tâche énorme, parfois le salaire n’est pas suffisant, on n’arrive pas à joindre les deux bouts. Les gens ont peur de perdre leur emploi ou de ne pas pouvoir payer le loyer. La politique sociale n’aide pas. L’Italie a un taux de natalité très bas, l’Espagne de  même. La France est un peu mieux, mais le taux est également faible. Comme si l’Europe avait assez d’être maman, préférant être grand-mère. Cela dépend beaucoup de la crise économique, et pas seulement d’une dérive culturelle marquée par l’égoïsme et l’hédonisme. L’autre jour, j’ai lu une statistique sur les critères de dépenses de la population à travers le monde. Après la nourriture, les vêtements et les médicaments, trois éléments nécessaires, viennent les cosmétiques et les dépenses pour les animaux domestiques.  

Les animaux comptent plus que les enfants ?  
Il s’agit d’un autre phénomène de dégradation culturelle. C’est parce que la relation affective avec les animaux est plus facile, plus programmable. Un animal n’est pas libre, tandis qu’avoir un enfant est un peu plus compliqué.   L’Evangile parle-t-elle davantage aux pauvres ou aux riches pour qu’ils se convertissent?  La pauvreté est au centre de l’Evangile On ne peut pas comprendre l’Evangile sans comprendre la pauvreté réelle, en considérant qu’il existe aussi une pauvreté, très belle, de l’esprit: être pauvre devant Dieu parce que Dieu te comble. L’Evangile s’adresse indistinctement aux pauvres et aux riches. Et il parle autant de pauvreté que de richesse. Il ne condamne pas en effet les riches, peut-être les richesses quand elles sont idolâtrées. Le Dieu argent, le veau d’or.

Vous passez pour être un Pape communiste, paupériste, populiste. The Economist qui vous a consacré une page de couverture,  affirme que vous parlez comme Lénine. Vous reconnaissez-vous dans ces modèles ?  
Je dis simplement que ce sont les communistes qui nous ont volé notre drapeau. Le drapeau des pauvres est chrétien. La pauvreté est au centre de l’Évangile.  Prenons Matthieu 25, le protocole sur lequel nous serons tous jugés: j’ai eu soif, j’ai eu faim, j’ai été en prison, j’étais malade, j’étais nu. Ou regardons les Béatitudes, une autre bannière. Les communistes disent que tout cela est communiste. Peut-être, mais avec vingt siècles de retard sur nous. Alors quand ils parlent ainsi, on pourrait leur dire: «  mais  alors, vous êtes chrétiens ! » (rires).  

Puis-je me permettre une critique.  
Bien sûr…  

Vous parlez peut-être peu des femmes, et quand vous le faîtes,  vous abordez le sujet  uniquement du point de vue de la maternité, la femme épouse etc. Et pourtant les femmes d’aujourd’hui président des Etats, des multinationales, des armées. Au sein de l’Eglise, selon vous, quelle place occupent les femmes ? 
Les femmes sont la plus belle chose que Dieu ait créée. L’Eglise est femme, l’Eglise est un mot féminin. On ne peut pas faire de la théologie sans cette féminité. Vous avez raison, on ne parle pas assez de cela, on devrait travailler davantage sur la théologie de la femme. Je l’ai dit, et nous travaillons en ce sens.  

N’y a-t-il pas là une certaine misogynie?  
Le fait que la femme soit sortie d’une côte … (éclat de rire). Je plaisante. Je suis d’accord pour que l’on approfondisse davantage la question féminine, sinon on ne peut pas comprendre l’Eglise elle-même.   

En août, vous irez en Corée. Est-ce la porte de la Chine ? Ciblez-vous l’Asie ?  
J’irai en Asie deux fois en six mois. En Corée en août, pour rencontrer les jeunes asiatiques. En janvier au Sri Lanka et aux Philippines. L’Eglise en Asie est une promesse. La Corée représente beaucoup, elle a derrière elle une belle histoire, durant deux siècles elle n’a pas eu de prêtres et le catholicisme a progressé grâce aux laïcs. Elle a eu aussi des martyrs. Quant à la Chine, il s’agit d’un grand défi culturel. Enorme. Et il y a l’exemple de Matteo Ricci qui a fait beaucoup de bien …





Où  va l’Eglise de Bergoglio ?  

Grâce à Dieu, je n’ai aucune église, je suis le Christ. Je n’ai rien fondé. Du point de vie du style, je suis resté tel que j’étais à Buenos Aires. Oui, peut-être une ou deux petites choses, parce qu’il le faut, mais changer à mon âge aurait été ridicule. Sur le programme, en revanche, je suis ce que les cardinaux ont demandé durant les congrégations générales précédant le conclave. Je vais dans cette direction. Le Conseil de huit cardinaux, un organisme externe, est né de là. Il avait été demandé pour aider à réformer la Curie. Chose par ailleurs pas facile du tout, parce qu’on fait un  pas, mais ensuite il faut faire ceci ou cela, et si avant il  y avait un dicastère, par la suite il y en a quatre. Mes décisions sont le fruit des réunions précédant le conclave. Je n’ai rien fait tout seul.  

Une approche démocratique …  
Il s’est agi des décisions des cardinaux. Je ne sais pas si c’est une approche démocratique, je dirais plutôt synodale, même si le terme pour les cardinaux n’est pas approprié.  

Que souhaitez-vous aux Romains en cette la fête de Saint-Pierre-et-Saint-Paul, leurs  saints patrons ?  
Qu’ils continuent à être bons. Ils sont si sympathiques. Je le vois dans les audiences et quand je vais dans les paroisses. Je leur souhaite de ne pas perdre la joie, l’espérance, la confiance, malgré les difficultés. Le dialecte romain est beau aussi.  

Wojtyla  a appris à dire volemose bene, damose da fa’. Avez-vous appris une ou deux phrases en dialecte romain ?  
Pour l’instant peu. Campa e fa’ campa’ (Vis et laisse vivre, ndt.). (Naturellement, rires).  

Entrevue accordée  à Franca Giansoldati, Il Messaggero



Tags:
corruptionCurie romaineIdéologiesPape François
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