Le droit des fidèles à la liberté de religion suppose que leur communauté puisse fonctionner sans ingérence arbitraire de l’État. Mais le droit à la liberté de religion ne garantit pas de « droit à la dissidence ».
La Cour européenne des droits de l’homme a prononcé ce jour un arrêt de grande importance dans l’affaire Fernández-Martínez c. Espagne (requête no 56030/07). Adopté à une très faible majorité (9 voix contre 8), la Grande Chambre réaffirme le principe de l’autonomie institutionnelle des communautés religieuses à l’égard de l’Etat.
L’affaire concernait le non-renouvellement du contrat d’un prêtre comme professeur de religion et de morale catholique suite à la publication d’un article rendant public son mariage et son appartenance à un mouvement contestant le magistère de l’Eglise catholique. En Espagne, les professeurs de religion sont agréés par leurs autorités religieuses et employés par l’Etat. Suite à cette publication, l’Evêque n’a pas renouvelé l’agrément autorisant le requérant à enseigner, ce qui a entrainé le non-renouvellement de son contrat de travail par l’Etat.
Le requérant a contesté ce non-renouvellement, estimant que la décision de l’Etat avait violé ses droits fondamentaux, en particulier le respect de sa vie privée, de sa liberté de religion, et constituait une mesure discriminatoire. L’ECLJ est intervenu dans cette affaire comme tierce partie, en son nom et comme représentant de la Conférence Episcopale Espagnole.
Cette affaire est importante en ce qu’elle porte sur les rapports entre l’Etat et l’Eglise, et en particulier sur la liberté des communautés religieuses de fonctionner conformément à leur doctrine. Il s’agissait de déterminer les limites de cette liberté, et l’étendue corrélative du pouvoir des autorités civiles à leur égard, sachant que les valeurs de l’Eglise et des autorités civiles sont parfois conflictuelles. En substance, la question était de décider si l’Eglise doit être soumise aux droits de l’homme contemporains, ou si sa liberté peut y être intégrée et respectée. Sa liberté a été sauvée, à une voix près.
En résumé, la Cour a réaffirmé que le droit des fidèles à la liberté de religion suppose que leur communauté puisse fonctionner paisiblement sans ingérence arbitraire de l’État, dans le respect de leur autonomie. Elle a rappelé que les autorités civiles n’ont pas à s’ériger en arbitre des conflits internes aux organisations religieuses, le droit à la liberté de religion excluant toute appréciation de la part de l’État sur la légitimité des croyances religieuses ou sur leurs modalités d’expression.
La Cour a également souligné que le droit à la liberté de religion ne garantit pas de « droit à la dissidence ». Ainsi, en cas de désaccord entre une communauté religieuse et l’un de ses membres, la liberté de religion de l’individu s’exerce par sa faculté de quitter librement la communauté. De plus, le principe d’autonomie religieuse interdit à l’État d’obliger une communauté religieuse à admettre ou exclure un individu ou à lui confier une responsabilité religieuse quelconque.
S’agissant de la relation entre la communauté et ses collaborateurs, comme en l’espèce, la Cour a confirmé que les communautés religieuses peuvent exiger un devoir de loyauté spécifique de la part des personnes qui travaillent pour elles ou qui les représentent, selon les fonctions exercées. Ce devoir est « accru » en ce qu’il porte sur le respect du magistère et dépasse donc ce qu’un employeur non-religieux peut exiger de ses collaborateurs. Ce devoir de loyauté autorise l’Eglise à exiger de ses collaborateurs le respect de son enseignement, et à sanctionner leurs manquements dans ce domaine.
Ce devoir de loyauté ne peut être invoqué par l’Eglise qu’à la condition que le collaborateur l’ait accepté en connaissance de cause et volontairement.