Si le père Giraud et le père Sirico font tous deux les mêmes constats, les conclusions qu’ils en tirent sont pour le moins divergentes .
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Le père Gaël Giraud, économiste de formation, dénonce la collusion entre les banques et la haute finance publique. L’auteur du livre L’illusion financière est révolté par les connivences entre instituts bancaires et organes gouvernementaux, opérées au détriment du peuple, qui se trouve spolié pour permettre aux gouvernements de voler au secours des banques en faillite:
« A Dublin, le gouvernement, sous la pression de la troïka [Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international] a osé vider le fond de financement des retraites des Irlandais pour payer les dettes de ses banques naufragées », raconte-t-il lors d’une interview accordée à Marianne. Et au sujet de la loi bancaire française: «Elle fusionne le fonds de garantie des dépôts des Français avec le fonds de sauvetage du système bancaire. Banques et fonds spéculatifs peuvent donc puiser dans le fonds de garantie des déposants pour se sauver en cas de crise. Les déposants français ne sont donc plus assurés.»
Le père Giraud estime que c’est précisément cette collusion qui paralyse notre société. En d’autres termes, ce qu’il dénonce est bien la malveillance et la cupidité de certains hauts fonctionnaires qui passent des arrangements avec une poignée de puissants acteurs financiers, aux frais du contribuable.
Toutefois, le père Giraud en appelle à une réforme de l'euro et à un engagement de l'Europe en faveur d'un protectionnisme écologique et social… La règlementation des marchés financiers est à son sens «nécessaire» et le libre-échange entre pays présente un grand danger qu’il faut absolument contrôler. Un programme pour le moins étatiste, qui a quelque chose de surprenant puisque tous ses constats mettent directement en accusation les agissements peu scrupuleux des acteurs gouvernementaux.
Pour le père Robert Sirico, jésuite auteur du livre Défendre le libre-marché, le recours à encore plus d’intervention de l’État aggraverait considérablement la situation de nos sociétés, puisque l’État lui-même en est responsable, notamment par le biais du capitalisme de copinage (1) entre gouvernement et entreprises (ou banques). La solution la plus effective serait justement de se soustraire à l’imposant appareil bureaucratique qu’est l’État.
Dans les cas dénoncés par le père Giraud, les gouvernements ou la banque centrale volent au secours des grandes banques en faillite (bien souvent après avoir commis des erreurs), et ce avec l’argent des citoyens qui n’en sont pourtant pas les responsables. Le père Sirico éprouverait le même sentiment d’injustice mais préconiserait plus simplement de laisser les banques faire faillite, afin que ces dernières prennent leurs responsabilités.
Le philosophe et théologien moraliste est en effet un fervent défenseur de l’économie de marché libre. Celui-ci explique dans un article que «l’État interventionniste est loin d’avoir répondu aux attentes que l’on mettait en lui» et en dénonce les effets pervers, sur les plus pauvres notamment: «L’action gouvernementale peut entraîner en effet la création d’une bureaucratie impersonnelle dont les pauvres seront dépendants et qui finalement sera pour eux une source d’humiliation […] Dans les pays développés, les bureaucrates peuvent avoir tendance à améliorer leur situation personnelle plutôt que de s’attacher d’abord à améliorer le sort des plus pauvres. Les prélèvements fiscaux n’ayant pas de limites, ils prélèvent ainsi une part de plus en plus grande de la richesse produite par le secteur privé.»
Profitons-en pour relire ces mots de Jean-Paul II particulièrement adaptés au contexte :
«En intervenant directement et en privant la société de ses responsabilités, l’État de l’assistance provoque la déperdition des forces humaines, l’hypertrophie des appareils publics, animés par une logique bureaucratique plus que par la préoccupation d’être au service des usagers, avec une croissance énorme des dépenses. En effet, il semble que les besoins soient mieux connus par ceux qui en sont plus proches ou qui savent s’en rapprocher, et que ceux-ci soient plus à même d’y répondre».
Le père Sirico est convaincu que le libre marché bénéficie aux pauvres car il est fondé sur la protection des droits de propriété, la liberté des contrats, et l’esprit d’entreprise. Au cours d’un entretien au sujet de son livre, il explique que dans une économie de marché libre, la façon la plus efficace pour les personnes de poursuivre leur amour de la richesse est de servir les autres en proposant des biens utiles et à bon prix.
Toujours de son point de vue, le marché libre fondé sur la responsabilité a la vertu de réguler les comportements nuisibles. Il est par ailleurs un système souple et ouvert, qui permet de ce fait à la philanthropie de s’exercer mieux que dans tout autre système:
« Les pauvres sont les plus vulnérables dans toute société. Le meilleur remède à la pauvreté est une économie en croissance. Une telle économie fournit des emplois, des rémunérations plus élevées, de meilleures possibilités de carrières ou de réussite personnelle. Or une économie ne peut être en croissance que si le marché peut fonctionner de façon suffisamment efficace.
[…] La solution n’est pas alors d’entraver ou de détruire les institutions qui sont à la source du développement économique, mais plutôt de favoriser une éthique où ceux qui possèdent devront se pencher sur le sort de ceux qui n’ont pu bénéficier de ce développement et les aider.»
(1) Le capitalisme de connivence (ou de copinage) consiste pour un État à soutenir les intérêts de certaines entreprises, soit par corruption, soit à des fins politiques. Dans le cas des banques, qui est en question dans cet article, les grandes banques brandissent la menace du "risque systémique" pour exiger un renflouement par l’État ou par la banque centrale suite à leurs erreurs.