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Syrie : stop aux représailles avant qu’il ne soit trop tard !

Bernardo Cervellera - Asianews.it - publié le 09/09/13

Pour le directeur de l’agence Asianews, une guerre punitive contre le régime d’Assad serait illégitime et catastrophique.
Trop de contradictions dans la version des Etats-Unis sur l’utilisation des armes chimiques. On ne veut même pas attendre les résultats de l’enquête de l’ONU. Il est faux de penser qu’une action militaire contribuera à la conférence de paix. En revanche, elle aidera les islamistes, qui veulent dominer l’opposition.
 
Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Ligue arabe sont pressés de lancer une action punitive contre la Syrie : celle-ci est coupable, à leurs yeux, d’avoir utilisé des armes chimiques contre la population près de Ghouta (Damas), le 21 août dernier. Ceux qui accusent la Syrie sont les rebelles, qui ont diffusé sur internet des images pétrifiantes de personnes mortes par asphyxie, d’enfants enveloppés dans leur linceul, de jeunes en convulsion ou portant le masque d’oxygène.
 
Presque aussitôt, le tam tam des médias a rappelé qu’avec l’usage des armes chimiques, on avait franchi la “ligne rouge”  placée par Obama pour une intervention militaire contre Damas. Aux déclarations américaines – au début timides, puis de plus en plus « sûres », – sont venues s’ajouter celles de la Grande Bretagne, de la France, la Turquie, du Canada d’Australie et de la Ligue arabe. Contre l’intervention: Russie, Chine, Iran, depuis toujours alliés de Damas. Plus faiblement : Italie, Allemagne et Pologne, hostiles à l’action militaire,  et privilégiant l’action politique.
 
Alors que la flotte américaine se déploie sur les côtes syriennes, se décide en ce moment le mode d’intervention: elle ne durera que quelques jours; ciblera les objectifs (communiqués par les rebelles); ne servira pas à faire tomber Assad; ne  freinera pas la conférence de paix que l’ONU et la Ligue arabe préparent avec lenteur. Au contraire, selon des sources arabes, une attaque contre la Syrie favorisera la mise en route de cette conférence !
 
Depuis l’attaque de Ghouta jusqu’à ce jour, on a vu un crescendo de déclarations, de menaces et de promesses pour punir les “crimes contre l’humanité” (les armes chimiques selon l’ONU). En même temps s’observe un glissement continu vers la conclusion évidente que le responsable de l’attaque chimique est le régime de Damas.
 
Les pays interventionnistes ont commencé par demander une enquête de l’ONU ; puis, quand la Syrie et les rebelles ont accepté la présence des inspecteurs – garantissant le cessez-le-feu – les mêmes pays ont dit que c’était « trop tard » et qu’il fallait intervenir car « presque sûrement » Damas était le responsable de l’attaque. Pour finir, Joe Biden, vice-président des Etats-Unis a déclaré que c’était le gouvernement syrien “sans aucun doute ". Comme aussi David Cameron. Et cependant, nous avons tous des doutes.
 
Le 25 août, s’adressant aux fidèles de la place Saint-Pierre, le Pape François a exprimé sa « grande souffrance et préoccupation » pour la « guerre entre frères » en Syrie. Il  a lancé un appel à la communauté internationale « pour qu'elle se montre plus sensible envers cette situation tragique et mette toute son implication pour aider la bien-aimée nation syrienne à trouver une solution à une guerre qui sème destruction et mort ».
 
C’est précisément au nom de cette  “sensibilité” – qui implique rationalité et solidarité – que nous soulignons quelques contradictions qui nous incitent à être contre l’attaque programmée si vite, mais sans trop d’intelligence.
 
Pour les Etats-Unis, la « preuve » que Damas a lancé des armes chimiques vient de l’interception d’un dialogue téléphonique d’une personnalité du ministère des affaires étrangères, qui s’informait sur une attaque avec armes chimiques ; une preuve indirecte mais insuffisante. D’autant que ces « preuves » n’ont été à ce jour partagées avec personne, ni même avec l’ONU, et ce que l’on sait provient de déclarations anonymes faites à certains médias.

 Au contraire, il existe des déclarations et documents de satellite russe  montrant deux missiles avec têtes chimiques lancés depuis une zone  de rebelles, Douma, et qui sont tombés sur Ghouta, tuant des centaines de personnes.
 
Les enquêteurs de  l’ONU présents en Syrie ont commencé à récolter des preuves d’armes chimiques. Au début avec quelques difficultés : dans la zone contrôlée par les rebelles, ils ont essuyé quelques tirs de francs-tireurs.
La précipitation à vouloir lancer l’attaque font oublier qu’ils sont venus là pour voir s’il y a eu attaque chimique et (mais ce n’est pas leur tâche) recueillir des indices sur le présumé responsable. Mais Etats-Unis et Grande-Bretagne, faisant fi de ces investigations, ont déclaré peu après que les preuves d’une attaque chimique se volatilisent. En réalité, selon les experts, les traces de gaz sarin restent dans l’air, les murs, les cheveux, la peau des victimes. Par conséquent, attendre la conclusion de l’enquête de l’ONU, peut éclairer nombre d’aspects de ce qui s’est passé.
 
Plus encore, des experts militaires et médicaux mettent en doute jusqu’à la véracité des images montrées par les rebelles; car si le gaz sarin reste actif sur la peau des victimes, comment se fait-il que les volontaires et médecins qui les soignent sortent tranquillement sans aucun masque à gaz ? Et pourquoi une telle hâte à punir les responsables de Ghouta, alors qu’on a laissé mourir plus de cent mille personnes en deux ans de guerre, sans se scandaliser?
 
Quant à nous, il nous semble qu’il n’est pas “trop tard” pour laisser à l’ONU le temps nécessaire à l’enquête ; d’autant que, selon Ban Ki-moon, ses experts ont fait  des « découvertes valables ».
 
Il nous paraît absurde de dire qu’une action militaire puisse favoriser la conférence de paix. Une  chose est sûre, elle aiderait les rebelles, qui perdent de jour en jour du terrain, malgré l’importante aide de guerre des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite et du Qatar. En outre, le renforcement de l’opposition ne signifie  pas automatiquement  une aide à la seule partie laïque du  Free Syrian Army, mais aussi à celle djihadiste, liée à Al-Qaeda. Une des raisons pour lesquelles on ne parvient pas à démarrer la conférence de paix est précisément le conflit entre ces deux âmes, laïque et islamiste, sur qui doit représenter l’opposition. L’attaque militaire déstabiliserait peut-être Assad, mais ne résoudrait pas le problème existant entre les rebelles, mais le rendrait plus aigu.

Enfin, une question sur les scénarios possibles au Moyen-Orient Au niveau politique existe le risque d’une guerre dans la région, sinon mondiale, du moins entre Syrie, Liban (Hezbollah), Iran, Russie, Chine d’une part  et Etats-Unis, France, Grande- Bretagne, Israël, Arabie Saoudite, Qatar, Turquie, etc. de l’autre. Au niveau local on n’ose imaginer ce qui pourrait se passer en Syrie, pays devenu désormais le fief de nombreux intégristes musulmans: certains évoquent une désintégration sur une base ethnique, d’autres la naissance d’un Kurdistan avec des parties de Syrie, Iraq, Turquie…
 
Quoi qu’il en soit, une action militaire serait à présent la mèche qui provoquerait une violente instabilité dans le Moyen-Orient et durerait de nombreuses années. Avec comme résultat d’appauvrir ces pays des meilleurs esprits de la société, qu’ils soient chrétiens ou musulmans.
 
Bernardo Cervellera est le directeur de l’agence  Asianews.

Article,  traduit par Elisabeth de Lavigne pour Aleteia, avec autorisation.
 

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