Sa biographie de John Bradburne, aventurier inouï et martyr du XXe siècle, se lit comme un roman haletant !
Sur la photo de couverture, John est à demi accroupi, un genou en terre. Il regarde le photographe qui l’a surpris alors qu’il était en train d’écrire un poème à même le sol de sa case de tôle, à Mtemwa (Rhodésie à l’époque, aujourd’hui Zimbabwe). Quel regard ! Direct, joyeux, transparent, lumineux, rendu plus attachant encore par un léger strabisme : un œil sur vous, un œil sur Dieu, double vision fusionnant dans un même halo de bienveillance et d’amour.
A cette époque (1969), John Bradburne a franchi le mitan de la vie. Sous ses allures de hippie assagi, c’est un homme en paix avec lui-même et avec son Créateur. Il a tout donné ou presque, lui qui ne possédait déjà rien. Dix ans plus tard, pour ne pas abandonner ses chers lépreux, il donnera sa vie, sachant que va s’accomplir ce qu’il pressent, redoute et désire à la fois depuis sa jeunesse et sa conversion à la foi catholique : au bout de la route l’attend le martyre.
L’itinéraire de John Bradburne (14 juin 1921- 5 septembre 1979) est simplement stupéfiant. Didier Rance l’a pisté pendant une décennie sur les lieux mêmes de ses tours et détours, aux dimensions du monde : l’Angleterre natale, la Malaisie et la Birmanie pendant la guerre contre les Japonais, la France, la Belgique, l’Italie, la Terre Sainte, l’Angleterre encore, puis l’Afrique, la Rhodésie où John trouvera enfin sa voie à l’âge où la plupart des hommes pensent avoir leur carrière derrière eux. Des milliers de kilomètres à pied, des installations improbables (par exemple, un an dans la tribune de l’église de Palma, en Italie !), des essais sans cesse déçus de vie monastique, érémitique…ponctués de métiers divers, non moins précaires : bûcheron, maître d’école, fossoyeur, maçon, sacristain, éboueur, présentateur de télévision, gardien…les plus constants de tous ses emplois étant ceux de musicien et de clown où il excella sa vie durant.
A vues humaines, la trajectoire de ce fils de pasteur anglican ne fut qu’une série d’échecs, une longue errance. Mais ses familiers, ses intimes, ses amis, ou simplement ceux qui avaient accueilli ce vagabond anglais -forcément excentrique !-, pour quelques mois (rarement plus) ou quelques semaines, en ont été marqués à jamais. Quant à ceux qui, comme Didier Rance, n’ont connu son existence qu’après sa mort (pour l’auteur, ce fut lors d’un séjour au Zimbabwe), d’abord intrigués par l’unanimité des témoignages sur ce « fol en Christ », ils découvrent peu à peu l’ampleur du personnage, son héroïsme (qui lui valut d’être distingué pendant la guerre parmi les rares survivants des commandos britanniques luttant dans la jungle contre les Japonais), son génie poétique (puissance, originalité, abondance, son œuvre en ferait un poète majeur de la littérature anglaise du XXe siècle), sa joie de vivre et, par-dessus tout, l’exceptionnel rayonnement de sa charité. C’est elle qui le conduira à faire le choix le plus radical en épousant la vie des plus déshérités des déshérités, des lépreux rejetés de tous et abandonnés dans des conditions inhumaines au cœur de l’Afrique. John fit du mouroir de Mtemwa une oasis de sérénité, de foi et de joie malgré la souffrance de la maladie et de l’exclusion.
Mais un jour, la guerre civile qui devait aboutir à l’indépendance de la Rhodésie, rejoignit ce havre de paix. John, intraitable lorsqu’il s’agit de défendre ses chers lépreux, est dans le collimateur des deux camps, Blancs et Noirs, les uns dominés par le racisme, les autres par le marxisme, deux idéologies que John ne craint pas de condamner ouvertement. Finalement, devant son refus obstiné de quitter ses amis, les guérilleros le kidnappent. Le scénario de sa capture, des humiliations qu’il subit, de son jugement, de son acquittement par ceux des guérilleros qui veulent le sauver, puis de sa lâche exécution, présente une fascinante analogie avec la Passion du Christ. Il n’est donc pas surprenant que la renommée de la sainteté de John Bradburne ait crû sans cesse depuis sa mort : elle est aujourd’hui si puissante, et étayée par tant de témoignages de guérison, que cette abondance même retarde le procès canonique ouvert depuis des décennies.
Nul doute que cette enthousiasmante biographie devrait remettre la procédure en route. D’autant que de nombreux lecteurs reprendront pour leur compte cette invitation que John, décidément prophète, faisait dès 1952 dans une lettre à son ami Dove : « Prie pour ma sanctification parce que cela encouragerait tant d’âmes si un tel naufrage peut se terminer par une canonisation, et je veux tellement contourner le Purgatoire ».
Le Grand Prix catholique de littérature, fondé en 1946, couronne chaque année un écrivain de langue française. C'est Daniel-Rops qui lui a donné son nom. Ce n'est pas un prix spécifiquement religieux. L'ouvrage récompensé doit avant tout faire état de qualités littéraires et de valeurs universelles compatibles avec la foi catholique. Parmi les lauréats, ce prix a été attribué entre autres auteurs à : Eugène Green, Jacques Martain, Père Henri de Lubac, Patrice de La Tour du Pin, Jacques de Bourbon-Busset, Jean Sullivan, Jean Sevillia…
* « John Bradburne, le vagabond de Dieu » par Didier Rance, Salvator, 512 pages, 23€. Voir aussi : www.johnbradburne.com