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“La Samaritaine”, ce petit bijou méconnu d’Edmond Rostand

Affiche pour la piece "La Samaritaine" de Edmond Rostand interpretee par Henriette Rosine Bernard dite Sarah Bernhardt (1844-1923) en 1897 au Theatre de la Renaissance. Dessin d'Alphonse Mucha (1860-1939)

Photo by Photo Josse / Leemage via AFP

Raphaëlle Coquebert - publié le 13/04/24

Pièce culte, parmi les plus jouées de toute l’histoire du théâtre, "Cyrano de Bergerac" a malencontreusement éclipsé les autres écrits de son talentueux auteur, Edmond Rostand. Entre autres, sa pièce sur la Samaritaine aussi lumineuse que les pages d’Évangile qui l’ont inspirée, représentée pour la première fois le 14 avril 1897, à Paris.

C’est un bouffeur de curé, Edmond (1868-1918). Qui ne se prive pas de brocarder sa poétesse de femme, Rosemonde Gérard, sur sa foi catholique : comment accorder crédit à ces superstitions en un siècle qui a décrété la mort de Dieu ? Rostand a lu Nietzche que diable ! Aux oubliettes, cette religion chrétienne qui a causé tant de dommages ! Ça, c’est la vision côté scène : ce qui se donne à voir en apparence et qui flatte l’anticléricalisme de bon ton qui sévit depuis toujours au sein de l’élite intellectuelle française. En coulisses, le rapport à la foi du dramaturge s’avère plus nuancé. 

La lecture de son œuvre devrait pourtant mettre la puce à l’oreille. Que promeuvent les pièces du père de Cyrano sinon de nobles idéaux : le courage, le dépassement de soi, l’humilité, la quête d’un amour pur, le service de la patrie ? Edmond l’angoissé, souvent en proie à la mélancolie, a soif d’absolu et ne peut se contenter d’embrasser l’athéisme de son temps. Il se questionne, il espère en une cité céleste où rien ne viendrait plus contrer ses aspirations élevées, si malmenées par le réel et sa propre médiocrité. La dernière tirade du malheureux Cyrano n’a-t-elle pas pour cadre un couvent où il livre bataille à ses démons intérieurs avant “d’entrer chez Dieu”, avec son panache pour tout bagage ?

Une œuvre qui tire vers le haut

Mais c’est dans une pièce de quelques mois antérieure à son chef-d’œuvre que Rostand livre le fond de son âme : La Samaritaine présentée sur la belle affiche d’Alphonse Mucha comme un “évangile en trois tableaux et en vers” le Mercredi saint de l’année 1897 avec dans le rôle-titre l’illustre Sarah Bernhardt. 

Affiche pour la piece "La Samaritaine" de Edmond Rostand interpretee par Henriette Rosine Bernard dite Sarah Bernhardt (1844-1923) en 1897 au Theatre de la Renaissance. Dessin d'Alphonse Mucha (1860-1939)

Pièce qui transpose assez fidèlement sur scène un épisode de l’Évangile de saint Jean (Jn 4, 1-30) : la fameuse rencontre du Christ près d’un puits avec une pécheresse de Samarie, une croqueuse d’hommes dénommée ici Photine. Prisonnière de sa sensualité – ou de son besoin éperdu d’être aimée -, elle est bouleversée par sa conversation avec celui qu’elle reconnaît très vite comme le Messie. Elle s’empresse de le révéler avec fougue à ses compatriotes.

Un écrit inspiré

Le texte, tout en sobriété, témoigne de la solide culture religieuse d’Edmond mais plus encore de son inclination pour la personne du Christ. La lecture de la fameuse Vie de Jésus (1863) de l’historien-philosophe Ernest Renan aurait été pour lui l’électrochoc à l’origine de l’écriture de La Samaritaine. Pourtant, combien plus divin est son Christ ! Il a peu à voir avec la caricature imaginée par l’intellectuel positiviste mis à l’index par l’Eglise.

Nul doute que le souffle de l’Esprit a guidé Rostand dans son écriture, le hissant au-dessus de lui-même. Athée Rostand, ainsi que l’assurent la poétesse Anna de Noailles – qui fut sa maîtresse – ou le curé du Tout-Paris d’alors, l’abbé Mugnier ? On penche plutôt pour la thèse de Philippe Bulinge, l’un des meilleurs connaisseurs actuels de l’œuvre de Rostand, selon lequel le dramaturge, travaillé par les questions existentielles, aurait été agnostique. Le protagoniste de son ultime pièce, Chantecler (1910), un coq, serait même une “figure christique”. 

Un mécréant pourrait-il présenter sa pièce tirée de l’Évangile comme un face-à-face entre “la Samaritaine, créature d’amour et de foi” et “un Christ de douceur et de pardon” ? Ou confier à son ami écrivain Jules Renard : “Il y a dans cette pièce des choses, le second acte, que je préfère à tout Cyrano” ? Quoi qu’il en soit, La Samaritaine, dans sa désarmante simplicité évangélique, est une pièce d’une bouleversante acuité. A exhumer sans attendre !

Extrait (Premier tableau, scène V) :

Photine

“J’avais si soif, si soif, et depuis si longtemps !
C’est ce vers quoi, sans fin, je reprenais mes courses, 
L’eau vive, – et j’en connais toutes les fausses sources !
Quelquefois je croyais aimer, et qu’en aimant
Tout irait mieux, et puis je n’aimais pas vraiment, 
Et je restais avec une âme encor plus sèche ?…
Mais, dès qu’on me parlait d’une autre source fraîche, 
L’espoir d’une eau nouvelle et de nouveaux chemins
Me faisait repartir, mon urne dans les mains ! (…)
Et maintenant, c’est dans la fraîcheur que je vais !
Car mon âme a senti, de son ombre surprise, 
Sourdre, à flots de clarté, la fontaine promise !
Jaillis, source d’amour, et monte en jet de foi, 
Et puis retombe en gouttes d’espoir, chante en moi, 
Chante ! et suspends, au lieu d’une poussière infâme, 
Une poudre d’eau vive aux parois de mon âme !…”

La Samaritaine (Source : Gallica)

Tags:
ArtsÉvangilesJésusThéâtre
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