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Au forum des lycéens désorientés

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Image d'illustration.

Henri Quantin - publié le 17/01/24

Professeur de khâgne, Henri Quantin livre son expérience de rencontres avec des lycéens perdus dans les "forums d’orientation" où ils cherchent en vain la bonne option pour orienter leurs études supérieures. L’enjeu est de discerner où est leur véritable désir, là où ils trouveront la joie d’apprendre.

Parmi les missions nouvelles qui rendent le métier de professeur de plus en plus polyvalent, la moindre n’est pas la promotion de son établissement scolaire. Celui qui se contentait, il n’y a pas si longtemps, d’essayer d’enseigner sa discipline, a été contraint de se transformer en représentant de commerce. Peu à peu ont fleuri brochures, dépliants, tracts, affiches et panneaux (le refus du franglais limite la liste), pour donner de la visibilité publicitaire à la formation à promouvoir et un peu de crédibilité à celui qui la promeut. Rituel désormais bien établi, en plus des Journées portes ouvertes, les forums d’orientation accueillent des flots de lycéens en quête de révélations sur leur avenir. La bande-son pourrait être confiée à l’Anna Karina de Pierrot le fou : “Qu’est-ce que j’peux faire ? j’sais pas quoi faire.”

D’authentiques curieux

Balzac fit la classification des piétons de Paris ; celle des lycéens déversés dans un forum ne serait sans doute pas sans intérêt. Il y a ceux qui ne quitteront pas leur téléphone, ravis de l’aubaine de quelques cours en moins ; ceux qui déchiffrent ostensiblement ce que propose un stand, avant de s’éloigner en faisant la moue ; ceux, mieux élevés ou plus délicats, qui prennent le temps d’adresser un mot de consolation au professeur-apprenti commercial qui a cru un instant que sa formation intéressait enfin quelqu’un : “Ça, c’est pas pour moi, Monsieur.”

Même dans une discussion de trois minutes avec un élève qu’on ne reverra sans doute jamais, il n’est pas anodin de rappeler qu’une orientation peut ne pas être dictée par le seul besoin.

Certains lycéens, toutefois, après s’être consultés du coin de l’œil, s’enhardissent. On devine que ce qu’ils se chuchotent à l’oreille doit s’apparenter à un défi : “Si tu viens avec moi, je vais demander. ” Il y a même d’authentiques curieux, qui ne veulent rater aucune occasion d’apprendre un mot nouveau : “Ça veut dire quoi, Monsieur, le mot qui est écrit, là, hypokhâgne.” Une question de vocabulaire ! Le commercial en quête de nouvelles recrues pour sa classe, dont le rectorat scrute les effectifs annuels, est légèrement déçu, mais le professeur revient au galop. Après tout, même dans un forum d’orientation, son premier métier est d’instruire : il s’est suffisamment agacé qu’on l’oublie, en lui faisant distribuer des tracts qui vantent son lycée avec des slogans d’agent immobilier. 

Éclairer un discernement

Instruire, donc, dans un acte de confiance — de foi ? — dans la fécondité possible de toute parole. Tenter de transformer une corvée promotionnelle en une série de brèves rencontres : essayer d’éclairer un discernement sans arrière-pensée de recrutement, s’interdire la publicité mensongère même par omission, suggérer peut-être que la performance n’est pas le seul critère d’études réussies et que ce n’est pas seulement une puérilité adolescente de se demander avec Laurent Voulzy : “Est-ce que ma vie sera mieux, une fois qu’j’aurai mon certif ?”

Même dans une discussion de trois minutes avec un élève qu’on ne reverra sans doute jamais, il n’est pas anodin de rappeler qu’une orientation peut ne pas être dictée par le seul besoin et que la littérature, pour prendre cet exemple, est une école de vie et d’émerveillement, avant d’être un marche-pied stratégique pour entrer à Sciences Po. Encore une chose, bien sûr, que la famille est censée apprendre, mais que certains n’entendront hélas que dans la bouche d’un professeur.

La joie d’apprendre

Dans ses Réflexions sur le bon usage des études scolaires en vue de l’amour de Dieu, Simone Weil tenta de dégager ce qui pouvait être “une conception chrétienne des études”. Elle réfutait notamment tout ce qui assujettirait l’intelligence et le travail à une vision mécanique de l’esprit, au nom du besoin supposé d’un stimulus immédiat : “L’intelligence ne peut être menée que par le désir. Pour qu’il y ait désir, il faut qu’il y ait plaisir et joie. L’intelligence ne grandit et ne porte de fruits que dans la joie. La joie d’apprendre est aussi indispensable aux études que la respiration aux coureurs. Là où elle est absente, il n’y a pas d’étudiants, mais de pauvres caricatures d’apprentis qui au bout de leur apprentissage n’auront même pas de métier.”

La leçon peut être méditée par celui qui cherche en vain une orientation et qui oppose systématiquement travail et plaisir. Elle peut l’être aussi par celui qui vous demande de but en blanc : “Vaut-il mieux aller à Henri IV ou à Louis-le-Grand pour être pris ensuite dans un master Finance and Strategy à Sciences Po Paris ?” Contrairement au lycéen perdu sans table d’orientation, celui-ci gagnerait sans doute à être un peu désorienté.

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ÉcoleÉducationÉtudiants
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