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Comment définir la laïcité d’un vêtement ?

Ecole abaya tenue

© NICOLAS GUYONNET | Hans Lucas via AFP

Paul Airiau - publié le 17/09/23

Comment le pouvoir exécutif d’un État laïque peut-il définir de manière objective ce qui est religieux et ce qui ne l’est pas ? L’interdiction de l’abaya à l’école permet au gouvernement de réaffirmer la supériorité de la politique sur la religion, explique l’historien Paul Airiau, auteur de "100 ans de laïcité française" (éd. Presses de la renaissance).

Ainsi, de nouveau avec la rentrée des classes, la tenue des élèves est l’ordre du jour. Des robes et des tuniques menaceraient de subvertir l’Éducation nationale, les élèves entendant imposer par ce moyen détourné leurs convictions religieuses, séparatistes et intégristes à l’école de la République…

De ce nouvel épisode de la guéguerre vestimentaire entamée en 1989 avec “l’affaire des foulards”, des analyses ont mis en avant la situation étonnante qu’est la définition par le pouvoir exécutif d’un État laïque de ce qui est ou n’est pas religieux, de ce qui tombe ou pas sous le coup de la loi de 2004 interdisant le port par les élèves des établissements d’enseignement primaire et secondaire public de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse.

Vêtement religieux par destination

On voudrait ici rebondir en relevant combien les pouvoirs publics comprennent de manière très particulière l’objectivité du signe. En effet, interdire par principe des tenues parce que intrinsèquement religieuses suppose de considérer que la signification de ces vêtements est absolument objective quel que soit le contexte, le cadre, les circonstances.

La chose n’est pourtant pas évidente, comme le montrait bien l’annexe 1 à la circulaire du ministère de l’Éducation nationale du 9 novembre 2022 qui traitait déjà de la question des abayas et qamis. Se fondant sur la jurisprudence du Conseil d’État, elle rappelait que sont interdits “les signes ou tenues qui ne sont pas par nature des signes d’appartenance religieuse mais qui peuvent le devenir indirectement et manifestement en raison du comportement de l’élève”. Les auteurs de cette annexe, des juristes, connaissaient la subtilité des situations et donc la nécessité d’une interprétation à partir d’un faisceau convergent d’éléments matériels. 

À rebours, les politiques ont créé la catégorie du “vêtement religieux par destination” afin d’affirmer qu’aucune distance n’est jamais possible entre un vêtement et son sens. Or, c’est pourtant bien l’incertitude sur le sens des abayas et des qamis qui permet qu’ils puissent effectivement servir à des adolescents, plus ou moins relais volontaires d’interprètes autoproclamés de l’islam, pour affirmer leur appartenance religieuse. Qui plus est, la catégorie même du “vêtement religieux par destination” ne peut se fonder que sur la dissociation entre le signe et son sens. Néanmoins, c’est désormais évident pour les politiques, le signifié religieux est le signifiant vestimentaire.

La recherche de l’intention

Ce verrouillage radical du rapport entre signifiant et signifié est d’autant plus étonnant que l’Occident s’est engagé depuis une quarantaine d’années, pour le moins, dans un détricotage des rapports entre les vêtements et objets religieux et leur sens — et l’on n’évoque pas ici toutes les représentations religieuses… Du monde de la culture et de la mode, où il fonctionne comme un détournement volontairement provocateur, une appropriation d’une forte légitimité culturelle et une exploitation d’un réservoir de formes, le phénomène a plus que largement atteint toute la société.

Tout un chacun utilise désormais au gré de ses envies, de ses humeurs et de son cycle de vie tout un répertoire formel où l’investissement du signifiant par le signifié est extrêmement variable. Le décrochage peut même être total, au point que la recherche d’une intention par le biais du contexte, des circonstances ou du comportement ne permettra pas de comprendre le sens donné par l’individu à la forme qu’il utilise. Le phénomène est si profond qu’on peut penser qu’il n’est pas sans lien avec le développement du tatouage. Le vêtement ne pouvant plus dire véritablement l’intimité ou l’identité puisqu’il en est désormais déconnecté, il ne reste que la peau pour ce faire — et donc que fera-t-on lorsque des élèves auront des tatouages “religieux” ostensibles… ?

Prosélyte et séparatiste

Aussi peut-on trouver fort présomptueux d’inférer d’un signe à son sens et à son intention, ici, en l’occurrence, le prosélytisme et le séparatisme, soigneusement intriqués à l’identité religieuse soigneusement collée à l’ostensibilité. C’est un des points sous-jacents depuis les années 2000 : l’ostensibilité religieuse ne peut être que prosélyte, c’est-à-dire attentatoire à la liberté d’autrui car voulant convaincre par le biais d’une exhibition de formes ou d’arguments, et séparatiste, c’est-à-dire attentatoire à l’unité politique de la nation.

Seul le religieux est ainsi traité — la volonté d’emporter l’adhésion de ses adversaires ou de ses opposants politiques, de convaincre un potentiel acheteur, de séduire explicitement sont plus que largement acceptées. C’est qu’en effet le politique tient à rappeler que la subalternation du religieux le fonde. Et, en ces temps où sa crédibilité, son efficacité et son indépendance sont en crise, il lui faut aussi se relégitimer. D’où cette nouvelle “arme par destination”, le “vêtement religieux” : désormais l’abaya est à l’École ce que la kalachnikov est au Bataclan.

Tags:
ÉcoleLaïcitéReligions
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