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En mémoire d’un massacre, la chapelle du Champ-des-Martyrs de Brech

Débarquement de Quiberon

BERTHIER EMMANUEL / HEMIS VIA AFP

La chapelle expiatoire du Champ-des-Martyrs, à Brech (Morbihan)

Anne Bernet - publié le 27/07/23

Voilà un drame atroce de la guerre civile que les fusillés de Quiberon, en 1795, 700 militaires et 50 prêtres, victimes de leur héroïsme et de leur foi dans la parole donnée. Dans le silence du marais de Brech, près d’Auray (Morbihan), se dresse une chapelle expiatoire où l’on prie pour ceux que l’on considère ici comme des martyrs.

“C’est un trou de verdure où jase une fontaine”, tout de pelouses et d’arbres centenaires que domine une chapelle blanche, de style néo-classique, impeccable dans la sérénité de ses lignes et leur dépouillement, œuvre de l’architecte Auguste Canistri, un lieu de promenade romantique par excellence auquel un certain abandon procure un charme supplémentaire. L’on ne s’y promène guère pourtant car tout le monde se souvient, dans ce coin du Morbihan où l’on a encore la mémoire longue, que ce lieu voisin d’Auray fut, à l’été 1795 et pendant plus de deux mois, le théâtre sanglant d’exécutions à la chaîne, de l’implacable massacre, en violation du droit de la guerre et du droit international, de 750 prisonniers royalistes, parmi lesquels l’évêque de Dol de Bretagne, Mgr de Hercé, et de nombreux prêtres, aumôniers d’une armée composée exclusivement d’officiers français qui avaient, le 17 juin précédent, débarqué à Quiberon dans l’intention d’en finir avec le pouvoir révolutionnaire.

Un marché de dupes

Depuis le 27 juillet 1794, 9 thermidor an II, et la chute de Robespierre, la Convention, pour sauver un régime moribond qui a dressé contre lui la majorité du pays, provoquant des insurrections aux quatre coins de la France, en guerre avec tous ses voisins, en proie à une crise économique et une insécurité qui ne cessent d’empirer, cherche la “pacification” des provinces de l’Ouest, soulevées contre les persécuteurs de leur foi. Les pires violences exercées contre elles, le déchaînement sur la Vendée des “colonnes infernales” chargées “de tout tuer, tout brûler, tout détruire” et qui, pendant six mois, du 17 janvier au mois d’août 1794, ne s’en sont pas privées, dans une surenchère de tueries, de viols et de tortures inédite, n’ont pas réussi à éradiquer la révolte catholique. À l’automne 1794, Paris a fini par comprendre que le seul moyen de rétablir la paix en Bas-Poitou, en Anjou, dans le Maine, en Bretagne et en Basse-Normandie est de laisser ces gens pratiquer à peu près librement leur foi. 

Cette seule idée révulse sérieusement un pouvoir persécuteur qui a cru pouvoir en finir avec l’Église en France mais, vu la gravité de la situation, et parce qu’il faut gagner du temps, les députés “thermidoriens” se sont résignés à faire de belles promesses aux paysans illettrés de l’Ouest et aux hobereaux rebelles qui leur servent de chefs. Entre février et mai 1795, un à un, les généraux chouans et vendéens ont accepté de signer des traités de paix pleins de promesses mirifiques, allant de la restauration du culte catholique à la libération du petit roi Louis XVII prisonnier depuis trois ans, abandonné, orphelin, en passant par des dommages de guerre pour la reconstruction des régions détruites et incendiées. En fait, il n’a pas fallu longtemps aux insurgés pour comprendre qu’ils ont été victimes d’un marché de dupes, qu’ils se sont fiés à la parole de gens qui se flattent de n’en pas avoir et l’annonce officielle de la mort de l’enfant roi au Temple le 8 juin leur a définitivement dessillé les yeux. Dans ces conditions, les clauses du traité de paix étant nulles et non avenues, l’autre partie de mauvaise foi, chouans et Vendéens ont estimé pouvoir sans déloyauté reprendre les armes et tenter d’en finir avec un régime ennemi irréconciliable des valeurs qu’ils défendent. La reprise de la chasse aux prêtres fidèles à Rome, début juin, l’a prouvé. 

Le piège de Quiberon

Depuis la mi-juin, partout ou presque, l’insurrection flambe de nouveau. Après des années de tergiversations, reprenant un plan suggéré par les royalistes français dès 1792, l’Angleterre accepte de transporter vers les côtes de France, en vue d’un double débarquement, dans l’Ouest et en Provence, stratégie qui sera d’ailleurs reprise en 1944, des troupes composées d’émigrés français venus de toute la Grande-Bretagne mais aussi d’Allemagne et des Pays-Bas.

Appareillée de Southampton et d’autres ports britanniques, d’Anvers et de Hambourg, le 16 juin, une flotte énorme fait voile vers la presqu’île de Quiberon où elle doit mettre à terre les Français. Une fois chez eux, et renforcés des chouans bretons, ceux-ci doivent, en principe, évacuer très vite une position que les forces républicaines du général Hoche pourraient, si elles arrivaient rapidement, bloquer sans difficulté, faisant de Quiberon une véritable “ratière”. Le problème, c’est que les services secrets républicains fonctionnent très bien et qu’ils ont, depuis des mois, connaissance du lieu du débarquement et de ses objectifs : s’enfoncer en Bretagne, marcher vers Paris avec l’appui de tous les insurgés de l’Ouest et faire tomber un régime qui, jusque dans la capitale, affronte mécontentement et émeutes. Hoche fera donc tout pour entraver le déploiement de cette stratégie et sauver la république. La tâche lui sera considérablement facilitée par les querelles au sein de l’état-major royaliste où les responsabilités exactes des uns et des autres n’ayant pas été clarifiée avant le départ, les commandants prétendent tous être le seul en droit de donner des ordres. Dans l’attente d’éclaircissements venus des princes français en exil et du gouvernement britannique, ils refusent de quitter Quiberon, tant et si bien qu’ils s’y trouveront, en effet, piégés et, en dépit de tentatives de sorties plus glorieuses et héroïques les unes que les autres, condamnés à y rester… Lorsque, enfin, ils admettront leur échec et envisageront de rembarquer sur les vaisseaux anglais, il sera trop tard. L’ennemi aura repris le fort Penthièvre qui domine la rade et permet de tirer sur la flotte britannique, laquelle se gardera d’autant plus, en approchant des plages, de se placer sous le feu des canons ennemis qu’une forte tempête l’empêche de manœuvrer…

À un contre dix

Certes, les officiers de marine anglais mettront quand même des chaloupes à l’eau pour tenter d’évacuer les Français mais en nombre insuffisant pour sauver ces milliers d’hommes sottement pris au piège. Quelques autres, jeunes et sportifs, s’en sortiront parce qu’ils parviendront à nager jusqu’aux navires britanniques malgré la mer déchaînée. Au total, ce 21 juillet 1795, ce sont environ 1.800 combattants français qui réussiront à rembarquer, tandis que le jeune comte de Sombreuil, qui vient de prendre le commandement sur le champ de bataille, ses supérieurs tués ou en fuite, se bat à un contre dix pour permettre les opérations d’évacuation.

Si la panique s’empare de certains quand ils comprennent qu’ils ne pourront pas partir, beaucoup d’autres, face à la catastrophe inévitable, révèlent leur grandeur d’âme. Mgr de Hercé, son frère et les quarante-sept autres prêtres qui assurent l’aumônerie des troupes, se sont agenouillés sur la plage et ils prient. L’évêque de Dol a simplement dit : “Mes enfants, n’encombrons pas les barques.” Ils savent tous, pourtant, que leur condition d’émigrés et de prêtres réfractaires les voue, s’ils sont faits prisonniers, à la mort. Quelques jeunes gens particulièrement bons nageurs, prennent sur leur dos des camarades âgés ou blessés, et parviennent à les ramener à bord des navires anglais. Puis, ces sauvetages accomplis, regagnent la plage pour ne pas déserter leur poste de combat. Les officiers les plus vieux cèdent leurs places dans les chaloupes aux plus jeunes en leur disant : “Partez, mes petits ; vous avez encore la vie devant vous”, offre que ces garçons déclinent en affirmant qu’ils ont, eux, la force de nager. En fin de matinée, il ne reste que 300 hommes en état de combattre dans les rangs royalistes et ils n’ont plus de munitions, mais, dans l’espoir de gagner encore quelques minutes qui permettraient la poursuite de l’évacuation, Sombreuil donne l’ordre de charger à la baïonnette les troupes républicaines, quatre ou cinq fois supérieures en force.

Rien n’y fera

Sidérés par le courage d’adversaires qui sont d’abord des compatriotes, quelques officiers républicains se sentent incapables de continuer un combat qui ne serait plus qu’un massacre. Des rangs des Bleus, des voix s’élèvent : “Vous vous êtes bien battus ! Rendez-vous ! On ne vous fera aucun mal !” Une offre que Hoche, commandant en chef, reprendra à son compte, en offrant, oralement, une capitulation dont seul le comte de Sombreuil sera excepté. Prêt à se sacrifier pour sauver ses camarades, le jeune homme accepte. En droit de la guerre, en effet, à la différence d’une reddition, qui n’accorde aucun privilège à l’ennemi vaincu, une capitulation met les prisonniers à l’abri de toute représailles et les place sous la protection des vainqueurs.

L’erreur de Sombreuil est de croire à la loyauté de son homologue républicain, pressé d’en finir pour épargner le sang de ses hommes, et qui sait pertinemment n’avoir aucune légitimité pour accorder la vie sauve à ces émigrés que leur seule présence sur le territoire nationale expose à la peine capitale. Une telle décision relève du gouvernement et de l’Assemblée, et, quand ceux-ci sont informés de la victoire de Quiberon, au lieu de ratifier les promesses des militaires, ils ordonnent la formation de cours martiales chargées d’envoyer au peloton d’exécution la quasi-totalité des prisonniers royalistes. Le tableau de chasse se compose de 500 émigrés, 3.500 chouans et 1.300 transfuges républicains qui seront, dans les heures suivantes, évacués vers Auray. Hoche prendra seulement sur lui de laisser partir les femmes et les enfants, très nombreux, trouvés avec l’armée. Puis il quittera précipitamment le Morbihan afin d’éviter à sa réputation d’être entachée par la suite des événements, à savoir le massacre des prisonniers. Car, en dépit de toutes les interventions des commandants britanniques, qui offrent de procéder à des échanges de prisonniers, dix bleus contre un blanc, allèguent les conventions internationales et que les troupes françaises s’exposeront partout au même sort si elles violent le droit de la guerre le plus élémentaire, rien n’y fera.

L’intercession des martyrs

Sans même attendre les instructions de Paris, convaincus d’être dans la ligne des autorités, les officiers présents à Auray forment les premières commissions militaires le 27 juillet, avec pour consigne, avant d’expédier les prisonniers à la mort, de procéder à une simple vérification d’identité. Le 28 juillet, Charles de Sombreuil, l’un de ses officiers, Mgr de Hercé et son frère, vicaire général de Dol, ainsi que treize prêtres, sont fusillés à Vannes. Les exécutions ne cessent qu’en octobre, quand il n’y aura plus personne à tuer. On n’aura pas même épargné les garçons mineurs, ou qui l’étaient quand ils ont quitté la France, ce qui devrait les protéger, pas davantage les blessés, que l’on achève à l’arme blanche sur leurs brancards. Après quelques jours de cette tuerie, les fusilleurs, pour l’essentiel des volontaires belges car les troupes françaises, exceptés quelques fanatiques issus des vainqueurs de la Bastille et des Tuileries, ou des colonnes infernales, refusent de fournir des pelotons d’exécution, écœurés mais obligés de poursuivre leur tâche, bâclent le travail… De nombreux suppliciés, blessés, sont enterrés vivants.

Débarquement de Quiberon
La chapelle expiatoire du Champ-des-Martyrs, à Brech (Morbihan)

751 hommes sont fusillés à Quiberon, à Vannes, à Auray, ou plus exactement dans ce qui n’est alors qu’un champ marécageux à Brech, à la sortie de la ville. 751 hommes qui, alors qu’ils n’ont pas toujours mené une vie exemplaire, face à au trépas et à l’injustice de leur sort, retrouvent leurs principes chrétiens et meurent dans un total abandon à la volonté divine, conscients que cette fin atroce pèsera davantage dans la balance céleste pour racheter la France que ne l’aurait fait une victoire trop humaine. Leur héroïsme et leur résignation frapperont profondément les Alréens qui rebaptiseront “Champ des Martyrs” la prairie marécageuse où 206 royalistes périssent et sont ensevelis. Très vite, on vient se recueillir sur cette fosse commune et prier, moins pour le repos de l’âme des suppliciés que pour réclamer leur intercession. Certains pèlerins affirment y avoir obtenu des miracles.

La piété bretonne

En 1814, le curé d’Auray, l’abbé Deshayes, profite de la Restauration pour réaliser un projet qu’il médite depuis longtemps : faire ensevelir un maximum de victimes de l’été 1795 dans la crypte de l’ancienne chartreuse alréenne et bâtir une chapelle commémorative dans le marais de Brech, travaux qui s’avèrent difficiles en raison des infiltrations d’eau. La première pierre du monument est posée en 1815, son édification achevée en 1829, avec le concours de la famille royale, notamment du duc et de la duchesse d’Angoulême, fille de Louis XVI, qui visitent le site. À quelques mois près, la Révolution de Juillet 1830 aurait sans doute mis un terme définitif au projet ou entraîné la démolition de la chapelle. La piété bretonne lui évite ce sort.

Aujourd’hui, le discret monument de la rue du Champ-des-Martyrs à Brech, lieu de mémoire, rappelle l’horreur des luttes fratricides et la violence idéologique de la période révolutionnaire. En y songeant, ce site bucolique n’est pas si romantique que cela…

Tags:
BretagneRévolution française
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