Noël ! Entendrons-nous le chant de la candeur ? Ouvrirons-nous les yeux sur le mystère ? Non pour le dévoiler : pour nous en émerveiller sans fin ? Les voûtes de la cathédrale de Reims retentissaient autrefois quand se renouvelait la naissance de l’Élu de Dieu. “Noël ! Noël !” s’écriait le peuple quand on lui présentait, sacré, le nouveau roi.
Le sacre du Roi de la terre
Jeanne d’Arc, armée de la seule “Sagesse, qui confond la sagesse des sages”, le savait bien, qui fit sacrer le “Gentil Dauphin”, et en fit vraiment ce jour-là le “Lieutenant de Dieu, qui est le Roi de France”. Jeanne savait que le vrai roi de France, le Roi des Rois de la terre, était Dieu, l’Homme-Dieu. Un enfant pauvre né dans la froidure d’une grotte en Judée. Le Roi par excellence. Le modèle des Rois. Elle savait, elle qui, avec tout le peuple, criait “Noël !” au sacre de son roi humain, que Noël était l’apanage du seul Roi divin, renversant toute hiérarchie visible en cette terre, Roi divin promettant à ceux qui, comme elle, le sacrent par la fidélité, la sainteté de leur vie, une fin terrestre analogue à la sienne, colline du Golgotha ou bûcher de Rouen. Tragique est le destin du Roi de gloire ; tragique est le destin de ses vrais disciples. Tragique d’incandescence éternelle. Ainsi les carmélites de Compiègne ornèrent d’éternelle blancheur le “petit Roi” qui leur fut offert, de cellule en cellule, selon la coutume du carmel, en la nuit de leur ultime pèlerinage. Avec la bergère de Domrémy et à sa suite, elles rejoignirent, par le chemin du témoignage sanglant comme le sien, le Roi éternel. Toutes, passant par la grande épreuve, “elles lavèrent leurs vêtements et les blanchirent dans le sang de l’Agneau”.
Le chant des hommes et des anges
Parler de Noël en ce jour sur un ton si grave, est-ce trouver le juste ton ? Noël n’est-il pas le temps de la joie toute pure ? N’y a-t-il pas assez de malheurs comme cela ? Laissez-nous goûter en ce jour une goutte de pur bonheur ! Demain viendra assez tôt ! Oui ! Vous avez raison ! J’écoutais, cette après-midi, en prévision de notre promenade, la merveilleuse composition de Marc-Antoine Charpentier pour la nuit de Noël. Entendez-vous le chant des hommes et des anges, entrelacs de tendresse, ruissellements cristallins d’amour réconcilié entre la terre et le Ciel ? Une pureté si limpide est la source des larmes d’allégresse. Écoutez ! Écoutez le silence du ciel constellé. Prêtez l’oreille. Dans ce doux murmure, percevez-vous le tintement de la cloche lointaine qui annonce minuit, la minuit d’où jaillit soudain l’éblouissement devant le Nouveau-Né ? Mais un éblouissement chantant, d’un chant frère du silence pour ne pas éveiller l’Enfant qui dort. “Ô Infans ! Ô Deus ! Ô Salvator noster ! Ô Enfant ! Ô Dieu ! Ô notre Sauveur…” Que ces bergers agenouillés sont tendres ! Qu’ils veillent à protéger le merveilleux Enfant ! Plus tard lui viendra l’épreuve de vivre ! Et de mourir ! Pour l’instant, il dort encore de son premier sommeil. Que notre chant murmuré lui soit une berceuse ! “Do, do, l’Enfant do…”
La douceur de Noël est grave, comme l’Éternité, “Comme des pas muets qui marchent sur des mousses”… Verlaine, comme tous les vrais enfants, est lavé, baptisé, dans la candeur divine de cet Enfant. Son linge est moins propre que celui de la bergère brûlée et des religieuses décapitées. C’est le linge d’un très mauvais garçon, pas plus mauvais pourtant que ne le fut François Villon. Leur linge sale à ces deux- là, la Sainte Vierge le lavera. Et déjà, il lui suffit pour cela de leur montrer son petit gars.
La lumière de La Tour sur l’Enfant
La Tour l’a vu le premier. Voyez-vous son Nouveau-Né ? Que Marie est belle dans sa robe de drap rouge, en pleine nuit ! Que son calme visage est pur, qui, les yeux baissés, contemple ce petit bonhomme emmailloté de laine blanche d’où ne sortent que son front, ses joues, son petit nez retroussé. Il dort. Il n’a même pas crié. Chut !… Mais nul ne dit mot ! Sa maman lui est un berceau. Près d’elle une paysanne plus âgée, la grand’mère peut-être, profil d’infinie tendresse, mais retenue, dans la pénombre, réserve la lumière de la bougie à la jeune fille et au petit garçon, immobile, parfaitement paisible en son premier sommeil, comme s’il ne devait plus s’éveiller, lui qui n’a pas encore ouvert les yeux. À l’orée de la vie, dans la nuit, le Nouveau-Né est veillé par ces deux amours, celui de la maman et celui de l’aïeule. Que pourrait-il lui arriver ? Les ravages de la guerre de Trente ans qui détruit sa Lorraine ? Le supplice qui l’attend quand il sera grand ? Aujourd’hui, en cette nuit, avec sa grand’mère et sa maman, dormant d’un doux sommeil de certitude, il n’a rien à craindre. Lui, la divine Lumière, reçoit la lumière d’un lumignon dont l’éclaire l’aïeule aimante.
Mais qui est-il, au fond ? L’Enfant Jésus ? Bien sûr ! Bien sûr ? Rien ne le dit. Sauf l’évidence. L’évidence ? En quel enfant autant qu’en cet Enfant se révèle, en un silence si aimant, une paix si profonde ? En quel enfant autant qu’en cet Enfant rayonne la divinité de l’humaine enfance ?