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Medjugorje, islamisme, Amoris Lætitia : entretien exclusif avec le cardinal Müller

Cardinal Gerhard Müller

© Katharina EBEL / KNA-Bild / CIRIC

Konrad Sawicki - Aleteia Pologne - publié le 24/04/17

À l'occasion de son déplacement en Pologne le 19 avril pour une conférence, le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi a répondu aux questions de l'équipe polonaise d'Aleteia.

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Le cardinal Gerhard Müller s’est rendu en Pologne le 19 avril dernier afin de participer à une conférence organisée à l’occasion du 90e anniversaire du pape émérite Benoît XVI. Le thème qui réunissait les différents intervenants de ce colloque était : « Le concept d’État dans l’enseignement du cardinal Joseph Ratzinger – pape Benoît XVI ». L’équipe polonaise d’Aleteia a rencontré le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (l’une des neuf Congrégations de la curie romaine) dans les bâtiments de la conférence épiscopale polonaise.

Aleteia : Nous sommes ici en Pologne, un pays envers lequel de très nombreux catholiques, ici comme dans toute l’Europe d’ailleurs, nourrissent de grandes attentes. Son Éminence pense-t-elle que notre pays dispose d’une mission particulière ?
Cardinal Gerhard Müller : L’Europe ne saurait se résumer à une juxtaposition de nations et d’États évoluant les uns à côté des autres. L’Europe a une âme propre, qui tire son origine du christianisme. Il y a cependant, au sein de l’Europe, des nations bien distinctes, avec leurs histoires propres, leurs cultures uniques et des traditions qui diffèrent parfois fortement : c’est pourquoi il nous faut en tenir compte avant de tirer quelque conclusion que ce soit.

La Pologne, on tend souvent à l’oublier, fut le tout premier pays du continent à adopter une constitution démocratique, en 1791. Néanmoins, elle a souvent subi les coups du destin et fut à de nombreuses reprises divisée en tant que nation et en tant qu’État, subissant le sort que lui réservaient les différents empires au cours des siècles. Si la Pologne a pu préserver son identité malgré tout, c’est grâce à sa foi catholique – c’est là que réside, selon moi, la richesse toute particulière du peuple polonais. Et c’est précisément de cette richesse que doivent se nourrir les pays d’Europe afin de construire leur avenir en commun. Il nous faut marcher côte à côté pour que chacun, en apportant sa propre contribution, dessine la route qui sera la nôtre.

Le fait que la Pologne, en tant que nation, se soit unifiée dans la foi catholique, le fait que ses valeurs et ses racines soient profondément chrétiennes, telle est, selon moi, la preuve qu’elle peut inspirer les autres pays européens où dominent parfois un athéisme et un abandon de la foi derrière lequel se dissimule en réalité le plus triste matérialisme.

À l’inverse, la Pologne semble s’adresser à ces pays et leur dire : « Non, nous avons une idée plus haute de ce qu’est la vie humaine et de ce qu’elle représente. Nous la tirons de la prière et de la joie que nous apporte le fait d’être, en tant qu’humains, des enfants de Dieu ! » C’est une véritable exhortation à la liberté, tant à la liberté politique qu’à la liberté individuelle de chaque être humain – et tel est notre objectif, en tant que chrétiens.

Je pense qu’il est essentiel que nous parvenions à nous considérer, nous Européens, comme une communauté de nations, et non plus, comme cela a pu être le cas par le passé, comme des États souverains, individuellement mus par la conviction d’incarner le pouvoir et par la volonté de s’étendre aux dépens des autres. Nous sommes une communauté culturelle, et notre culture commune plonge ses racines dans la religion chrétienne.

Notre deuxième question porte sur les apparitions de la Vierge à Medjugorje. D’après les conclusions des travaux de la commission du Vatican et de la mission de l’envoyé spécial du pape, l’archevêque Henryk Hoser, nombreux sont les croyants qui s’attendent à ce qu’une décision soit rapidement prise afin d’authentifier les apparitions. Cette attente est-elle justifiée ?
D’un côté, il est vrai que nous constatons un grand nombre d’actes de foi incontestables à Medjugorje. Cela ne peut être que louable et nous ne pouvons que nous en réjouir. Des milliers de gens, venus de partout dans le monde, y reçoivent le sacrement de pénitence et de réconciliation, y communient ou bien se livrent à une profonde et sincère réflexion sur leurs choix de vie, à la lumière de la foi, qui leur permet par exemple d’embrasser des vocations religieuses, ou bien encore de prendre la décision de se marier.

D’un autre côté, ces expériences, pour réelles qu’elles soient, ne disent rien des apparitions rapportées ni du message qui aurait été délivré par la Vierge en plusieurs occasions. L’Église a le droit de décréter, à n’importe quel moment, qu’elle reconnaît ou non ces apparitions, de déterminer si elles sont ou non surnaturelles, ou si elles procèdent de l’imagination de ceux qui prétendent en avoir été témoins, ou encore si elles sont des expériences religieuses subjectives.

Même si l’Église était amenée à reconnaître ces phénomènes comme surnaturels, les chrétiens, à titre individuel, ne sont en aucun cas contraints d’y croire et de les tenir pour des articles de foi en lesquels il serait nécessaire de croire pour obtenir le salut. Je le dis clairement : les chrétiens ne sont pas tenus d’y croire. Chaque chrétien, en tant qu’individu, demeure libre. Jésus-Christ est le fondement de la Révélation pour nous et il est la seule mesure de notre foi.

Les apparitions rapportées à Medjugorje sont des révélations d’ordre privé, que nous n’excluons bien sûr pas par principe, mais auxquelles nous n’accordons pas le statut ou la valeur de véritables révélations divines apportant la vérité ou le salut de l’âme. Jésus-Christ vient à nous au quotidien, notamment dans la vie de l’Église : il est présent lors des sacrements. C’est la raison pour laquelle les croyants ne doivent pas placer d’espoirs excessifs dans une éventuelle reconnaissance officielle par l’Église de miracles issus d’expériences individuelles. La vérité de la Révélation ne dépend en aucun cas de ces phénomènes ou de ces visions.

Nous déterminons, en tant que membres de la Congrégation pour la doctrine de la foi, s’il s’agit d’un phénomène surnaturel, ou s’il subsiste des doutes à ce sujet. Telle est la recommandation qui nous a été faite par le pape lui-même. C’est le pape, le souverain pontife, qui prend ces décisions, celles qui concernent la vraisemblance de ces phénomènes ou l’absence d’éléments permettant de les tenir pour vraisemblables. La Congrégation pour la doctrine de la foi ne s’amuse pas à confirmer ou à infirmer le caractère surnaturel de ces visions : elle ne fait que délivrer une recommandation.

Il n’est pas exact, selon moi, de laisser entendre que l’envoyé spécial du Vatican ou que la Congrégation pour la doctrine et la foi aient arrêté une conclusion définitive à ce sujet. C’est une question qui doit encore être tranchée.

Une autre question que nous tenions à vous poser concerne le débat qu’a récemment suscité, au sein de l’Église, la publication de l’exhortation papale Amoris Lætitia. Son Eminence considère-t-elle que ce débat peut se révéler positif, ou craint-elle au contraire qu’elle ne recèle quelque danger ?
Afin de comprendre la véritable intention de l’exhortation apostolique Amoris Lætitia, il convient de bien la situer au cœur du message que nous délivre la Bible au sujet du mariage en tant que sacrement et en tant que mode de vie. De plus, elle avait pour but de prendre en considération tous ceux qui, pour des raisons et dans des circonstances tout à fait différentes, se sont retrouvés en situation d’échec ou ont eu à affronter des problèmes, pour ne pas se contenter d’affirmer : « Voilà ceux qui ont tout fait comme il faut, et voilà ceux que nous rejetons de notre communauté ». Notre objectif est de s’adresser à tous, pour que chacun puisse suivre les pas du Christ. Nous voulons avant tout apporter une aide qui permette de réellement comprendre le message du Christ et de le mettre en application.

En ce sens, tout débat, toute controverse est positive. Il y a néanmoins un aspect négatif que je me dois de souligner. En effet, ce débat tend à se réduire à une seule question, et à laisser de côté d’autres sujets tout aussi essentiels et vitaux, que l’exhortation, pourtant, aborde avec tout autant d’insistance. Cela a pour conséquence de créer des divisions, certes secondaires, au sein des croyants qui ne se focalisent que sur une question posée de manière réductrice, comme par exemple : « Pensez-vous que les couples de divorcés, qui forment une union non-sacramentelle, doivent recevoir la sainte communion ? »

Nous ne pouvons aborder cette question qu’en adoptant une perspective résolument ancrée dans l’enseignement de l’Église dans son ensemble. Le Pape n’a pas modifié le contenu de la Révélation, et il ne le fera jamais. Certains affirment que le Pape a changé le contenu des dogmes de l’Église et de la morale qu’elle enseigne. Ils prétendent qu’il a relativisé l’importance du saint sacrement du mariage. Cela est faux : il n’en a ni l’intention ni la prétention.

Une question à présent au sujet des martyrs chrétiens de notre époque, comme par exemple ceux vivant en Syrie, en Égypte, ou encore le père Hamel assassiné à Saint-Étienne du Rouvray, en France. Le Concile de Vatican II nous encourage à déchiffrer les signes du temps et à les interpréter à la lumière du contexte actuel. Que nous enseignent donc ce signum temporis, ces nouveaux martyrs, aujourd’hui ?
Il est vrai qu’une idée reçue demeure encore aujourd’hui que les martyrs n’ont vécu qu’à l’époque de la Rome antique. Et même si nous pensons aux martyrs contemporains, nous avons souvent tendance à ne penser qu’à ceux du XXe siècle, dans les pays chrétiens où sévirent les totalitarismes, comme l’Allemagne, ou l’Union soviétique.

Désormais, cette question fait de nouveau surface à cause de l’islamisme. Les pays musulmans doivent prendre position concernant la liberté religieuse et la liberté de conscience – et ils doivent s’y tenir. On ne peut pas affirmer : « Je décide de ta vie au nom de Dieu ». Il appartient à chacun d’entre nous de décider en son âme et conscience s’il souhaite vivre dans la foi et dans laquelle. Ce n’est pas une décision que l’on peut imposer à un tiers.

C’est ce que nous devons également apprendre, dans les pays occidentaux, à respecter, notamment lorsque la liberté de conscience est menacée – par exemple lorsque qu’une personne est contrainte par la loi à assister à un avortement. Cela aussi, quoique d’une manière légèrement différente, constitue une forme de persécution des chrétiens. Il s’agit de l’une des plus grave violation de la liberté de conscience. Nous devons réapprendre, y compris dans les pays occidentaux, dans les États sécularisés, ce que signifient véritablement la liberté de conscience et la liberté religieuse.

Nous ne pouvons en aucun cas nous permettre d’être offusqués, avec une certaine pointe d’arrogance, par les agissements des musulmans, tant que nous ne reconnaissons pas de manière absolue et sans réserve la liberté de religion chez nous. C’est précisément cela que doivent nous enseigner ces signes des temps que vous évoquiez : l’Église est le plus grand défenseur des droits humains dans leur absolu et de la reconnaissance universelle de la dignité humaine. Nous ne défendons pas uniquement les croyants qui suivent les préceptes de l’Église catholique ou des autres Églises chrétiennes, mais chaque être humain vivant dans ce monde.

Une dernière question concernant la théologie de la libération, pour laquelle son Éminence est réputée nourrir un intérêt certain. Certains catholiques semblent témoigner une réticence assez tenace à son encontre. Quelle est l’essence de la théologie de la libération et que pouvons-nous apprendre des théologiens qui y adhèrent ?
La théologie de la libération part initialement d’une interrogation : « Comment puis-je concevoir l’amour divin tout en étant confronté à la plus terrible pauvreté et à la plus insupportable injustice, notamment en Amérique du Sud et en Amérique centrale, dans des communautés très majoritairement catholiques ? Pourquoi la foi catholique ne porterait-elle pas assistance à ces personnes qui ne demandent que l’égalité sociale et l’égalité dans la dignité ? »

L’Église, à cette interrogation, apporte une réponse qui ne ressemble pas du tout à celle qu’apportent les communistes. Les communistes affirment : « Tout, dans ce monde, peut être amélioré». Pourtant, ces promesses n’ont conduit qu’à des situations infernales. Nous, de notre côté, en tant que chrétiens, répondons : « À travers Dieu, tout s’améliore ». Mais, tout en affirmant cela, nous sommes bien évidemment appelés à prendre une part de responsabilité dans ce monde, à nous engager et à user pleinement de notre entendement pour participer au développement de l’éducation, pour nourrir les indigents, leur procurer un toit, du travail, ou les aider à œuvrer à un développement social qui améliore leur condition.

Nous avons la doctrine sociale de l’Église, qui s’appuie sur des principes de respect de la personne humaine, ainsi que sur des principes de subsidiarité et de solidarité. Ces principes sont fondamentaux, et ils nous poussent donc à nous engager dans la société, l’Église tout comme l’ensemble des chrétiens, afin de contribuer à la développer dans le bon sens. Il ne s’agit aucunement d’un développement matériel. Le temporel est la seule voie qui permette d’accéder à l’éternité. Il s’agit d’une réunion du moyen et du but : le Christ est le moyen et le but. Il est la Vérité et il est la Vie.

Pour nous, membres de l’Église catholique, il n’y a pas de différence entre le monde d’ici et le monde de là-bas, entre le matériel et le spirituel. Pour nous, tout est unifié en Jésus-Christ. Dieu s’est fait homme, le Christ est homme et Dieu. C’est pourquoi l’humain et le divin sont unis en Jésus-Christ.

L’archevêque Oscar Romero est, selon moi, une figure tout à fait exemplaire qui peut renseigner ceux qui le souhaitent sur la théologie de la libération. La Congrégation pour la doctrine de la foi a étudié en détail chacun des livres qu’il a publiés, chacun de ses écrits et chacune de ses déclarations, lorsque le processus de sa béatification était en cours. J’ai moi-même lu, en espagnol dans le texte, toutes ces œuvres, afin de déterminer leur conformité avec la doctrine de l’Église. C’est sur la base de ce travail que nous avons décidé de prononcer le nihil obsat, cette autorisation qui vient confirmer que rien, dans ce qu’a produit Oscar Romero, ne peut s’opposer à ce qu’il soit béatifié.

Il nous faut bien garder à l’esprit que ce courant de pensée est très profondément influencé par le Concile de Vatican II, par l’enseignement que nous en avons tiré des relations qui existent entre l’Église et le monde d’aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle nous tenons à cet engagement. Non pas seulement un engagement pour améliorer le monde d’un point de vue matérialiste, mais un engagement pour élever la dignité humaine, dont elle demeure la pierre angulaire. Notez par ailleurs qu’il s’agit précisément de l’engagement de Dieu envers nous. Nous devons nous rappeler que la souffrance de Jésus-Christ et la passion, sur la croix, nous étaient destinées, pour nous, pour ce monde. Sa Résurrection nous donne l’espoir de construire un monde meilleur, où les enfants peuvent avoir accès à une meilleure éducation, où chacun peut se développer, grandir et mettre à contribution ses talents et ses facultés. Nous devons nous rappeler notre ultime horizon : notre Dieu, le créateur de ce monde.

Propos recueillis par Konrad Sawicki (Aleteia Pologne).

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