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Pape François : l’ombre d’un doute

Topshots – Pope Francis serious look

© Antoine Mekary / ALETEIA

« L’argent est important, surtout s’il n’y en a pas et que de lui dépend la nourriture, l’école, l’avenir des enfants. Mais il devient une idole quand il devient la fin. L’avarice volontaire devient un vice capital, c’est un péché d’idolâtrie parce que l’accumulation de l’argent pour lui même devient la finalité de l’action. » 6 février 2017, rencontre « Économie de Communion »

René Poujol - publié le 14/03/17

Adulé par l’opinion publique, contesté en certains lieux d’Église, le pape François jette aussi le trouble, ici ou là, parmi ses partisans.

Le 13 mars 2013, le cardinal Bergoglio devenait pape sous le nom de François. Quatre ans déjà ! Un pontificat encore jeune, marqué d’un style différent de ses prédécesseurs, d’actes importants de gouvernement en réponse aux souhaits exprimés durant le conclave et de quelques textes essentiels portant fortement sa marque. On pense ici à Evangelii Gaudium, présenté par le pape François lui-même comme son « programme », à Laudato si’ sur l’écologie ou à Amoris Lætitia sur la famille. Ces deux derniers textes donnant corps à cette « écologie intégrale » dont il se fait le héraut.

Quatre années marquées par la formidable adhésion des opinions publiques dans et hors de l’Église catholique et, parallèlement, par de fortes résistances internes pouvant aller parfois jusqu’à la contestation ouverte dans certains milieux ecclésiastiques. Comme sur l’affaire des « dubias » ces « doutes » formulés par quatre cardinaux, concernant le chapitre huit de l’exhortation apostolique sur la famille, relatif à l’accès aux sacrements des divorcés remariés. On pense aussi, à cette campagne d’affichage dans les rues de Rome, interpellant le Saint-Père : « Tu as placé sous tutelle des congrégations, renvoyé des prêtres, décapité l’Ordre de Malte et les Franciscains de l’Immaculée, ignoré les cardinaux… Mais où est donc ta miséricorde ? » Sur l’ampleur, souvent exagérée, et les raisons de ces oppositions, la littérature est abondante et ce billet n’a pas la prétention d’en proposer une relecture exhaustive.

Un retour à l’intuition de Vatican II

Disons simplement que dans une église catholique marquée par le centralisme romain, l’insistance mise sur la doctrine, la place centrale du droit canonique et une certaine conception très « ecclésiastique » de l’Église, le pape François semble marquer un retour à l’intuition du Concile Vatican II d’une Église miséricordieuse, proche des gens, soucieuse d’honorer le principe de subsidiarité dans son propre mode de fonctionnement, attentive à développer une juste autonomie des conférences épiscopales et à redonner aux baptisés laïcs, hommes et femmes, leur juste place dans l’évangélisation.

Évolution qui soulève inquiétudes et hostilité tant au sein de la Curie elle-même, que parmi certains évêques ou cardinaux. Les raisons en sont variées. Certaines sont discutables qui tiennent à la remise en cause de prérogatives et de baronnies consolidées au fil du temps, à la faveur du désintérêt de Jean Paul II pour la gestion de l’administration vaticane et de l’impossibilité dans laquelle s’est trouvé Benoît XVI d’y engager les réformes qui lui semblaient s’imposer. Les raisons tiennent aussi à une certaine image idéalisée de l’institution qui devrait se protéger de l’hostilité supposée du « monde ». Avec l’impératif d’éviter le scandale à tout prix… À trop évoquer « Notre sainte mère l’Église » on finit par ne plus oser regarder en face les turpitudes de certains de ses serviteurs.

Une crainte pour la doctrine et l’unité de l’Église

D’autres, plus compréhensibles, tiennent à la crainte de voir une trop grande ouverture pastorale conduire, demain, à la remise en cause de pans entiers de la doctrine catholique ; et le développement de la synodalité et de la collégialité, menacer l’unité de l’Église au nom de la nécessaire prise en compte de la diversité aujourd’hui contrariée par un forte tendance à l’uniformité.

D’autres enfin, sont de nature plus directement politique. La volonté affichée du pape François de remettre l’accent sur la justice sociale, en relativisant les questions éthiques chères à ses prédécesseurs nourrit de fortes critiques. Son plaidoyer, à travers Laudato si’, pour une « écologie intégrale » en réponse aux dérives d’un capitalisme consumériste destructeur de la planète et du lien social, est dénoncé ici ou là, comme purement idéologique et partisan.

Les ennemis les plus déterminés de François sont ailleurs

« La politique ne doit pas se soumettre à l’économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d’efficacité de la technocratie. Aujourd’hui, en pensant au bien commun, nous avons impérieusement besoin que la politique et l’économie, en dialogue, se mettent résolument au service de la vie, spécialement de la vie humaine. Sauver les banques à tout prix, en en faisant payer le prix à la population, sans ferme décision de revoir et de réformer le système dans son ensemble, réaffirme une emprise absolue des finances  qui n’a pas d’avenir et qui pourra seulement générer de nouvelles crises après une longue, coûteuse et apparente guérison. » (1)

Inutile de multiplier les citations. La focalisation médiatique excessive sur les oppositions internes à l’Église au pape François ne doit pas occulter le fait que ses ennemis les plus déterminés sont ailleurs. Ils se situent dans le monde de la finance internationale, au sein des lobbies du pétrole et de l’armement, ou encore parmi les gagnants – il y en a toujours – des tensions géopolitiques.

Il faut lire, sur ces questions, le remarquable ouvrage de Nello Scavo. (2) L’auteur y salue ce « chef d’œuvre de la diplomatie vaticane » que constitue le rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis ; il souligne la constance de l’opposition du Saint-Siège à une escalade anti-iranienne aujourd’hui renforcée par l’élection du président Trump. Mais surtout, il démontre comment dans un monde multipolaire « Bergoglio est passé à l’action, faisant du Vatican une alternative valable aux organisations traditionnellement vouées à la résolution des conflits. Nations unies en tête. » (3) Et comment « Les émissaires de François travaillent à la cessation des hostilités» dans nombre de conflits de la planète. » (4) Ce qui dessert certains intérêts, y compris en France.

Avec cette conclusion qui vaut pour l’ensemble des oppositions actuelles au Pape : « Il est indéniable que plus les interventions de François sont décisives, plus le nombre de loups rejoignant la meute augmente ». (5)

Savoir entendre les « plaintes »

Pour autant, il faut savoir entendre les « plaintes » formulées ici ou là à son encontre. Pour tenter d’en faire une juste évaluation. L’exercice n’est pas simple. Car il faut pouvoir faire le tri entre certaines accusations d’autoritarisme qui visent simplement à le déstabiliser, de récriminations peut-être fondées, de collaborateurs fidèles qui ont le sentiment d’être injustement suspectés voire méprisés. Dans un livre récent, Virginie Riva, correspondante d’Europe 1 à Rome cite un haut responsable de Radio Vatican : « En trente-cinq ans, je n’ai jamais constaté un tel mécontentement à l’intérieur du Vatican ». (6)

On peut comprendre que le pape François, conscient de bousculer des pratiques fortement ancrées, qui avaient justifié l’alarme des cardinaux lors du conclave et son élection, éprouve le besoin de s’entourer de collaborateurs sûrs. Le revers de la médaille, analysent certains vaticanistes, serait qu’il s’en remet peut-être trop – aveuglément ? – à ceux qui ont su gagner sa confiance. Au risque de faux pas, ou de positions indéchiffrables.

Trois dossiers qui nourrissent le trouble

Sur la question de la pédophilie, le principe posé d’une « tolérance zéro » se trouve ébranlé par le sentiment que la Commission mise en place se heurte à l’hostilité d’une partie de la Curie. La récente démission de Marie Collins, dernière représentante au sein de la Commission, de fidèles victimes de pédophilie dans l’Église, a accentué le malaise. Si l’intéressée tend à dédouaner le pape François qui, selon elle, « essaie de faire de son mieux », les questions demeurent. À commencer par le fait qu’elle n’ait jamais pu s’entretenir avec le Pape seule à seul. Concernant le diocèse de Lyon, certains s’interrogent sur l’empressement du pape François à recevoir un prêtre en rupture de ban alors même que les demandes de rencontre formulées par l’association La Parole libérée, représentant les victimes du père Preynat attendent toujours une réponse…

Parmi les acteurs du dialogue œcuménique, notamment avec le monde orthodoxe, certains s’interrogent sur les conditions de la rencontre « historique » du pape François et du patriarche Cyrille, de Moscou, le 12 février 2016, à l’aéroport de la Havane. Le soupçon est formulé d’une impréparation par le seul Conseil pour l’unité des chrétiens, dans le dos du cardinal Parolin, Secrétaire d’État, qui aurait eu pour principale conséquence que le document final, largement inspiré par le patriarcat de Moscou, minimise le poids réel des gréco-catholiques d’Ukraine, contraignant le Vatican à une forme de rétropédalage ultérieur de nature à faire tomber la tension… Sans que le bénéfice de cette rencontre de Cuba apparaisse clairement en termes d’amélioration des relations entre Rome et Moscou.

Troisième dossier qui suscite bien des interrogations la signature imminente d’un « accord historique de réconciliation » entre Rome et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X qui devrait entériner l’autonomie revendiquée de longue date par les disciples de Mgr Lefebvre, par le biais d’un rattachement direct au pape (sous forme de prélature personnelle comme pour l’Opus Dei) ce qui aurait pour effet de soustraire ces communautés à l’autorité des évêques diocésains. Et cela, alors même que Mgr Fellay déclare : « Accepter un accord avec Rome ne veut pas dire que la Fraternité se range… » Ce qui suggère ce commentaire à Jean-Marie Guénois du Figaro : « De fait, et contre toute attente, c’est plutôt Rome qui a changé sous l’influence du pape François à l’égard de la Fraternité Saint Pie X, alors qu’elle n’a pas bougé d’un iota. »

Autant de dossiers qui créent le malaise parmi les mieux intentionnés vis-à-vis du pape François et des orientations de son pontificat. Peut-on dire qu’ils nécessiteraient, pour le moins, quelques éclaircissements ?

Le temps fait beaucoup à l’affaire…

Dans son livre, déjà cité, Virginie Riva écrit : « Ses soutiens comme ses ennemis ont désormais compris que le combat mené par François est révolutionnaire et qu’il se veut un processus irréversible ». Sauf que quatre ans après son accession au trône de Pierre, le pape François semble être au milieu du gué. S’il évoque parfois, comme pour s’en amuser, le fait qu’il n’est pas immortel, l’évidence s’impose que les réformes engagées ne sont pas arrivées à leur terme, loin s’en faut. Il y faudra du temps et de la détermination. Mais également la loyauté de l’appareil ecclésiastique dans leur mise en œuvre. (7)

Ce qu’un conclave a fait, un autre conclave pourrait-il le défaire ? Cette question, souvent formulée mezza voce, nourrit ici des angoisses, là des espérances… Ainsi en est-il des affaires humaines, dans l’Église comme dans la société civile ! Même si l’on peut penser que cela n’est pas très sain ! Même si certains préfèreraient que l’on s’abstienne de telles évocations… Pour protéger « Notre sainte mère l’Église ».

Pour le reste prions, en ce quatrième anniversaire, que le pape François continue de bénéficier d’un « bouclier céleste ». Oui, plus que jamais, God save the Pope !


  1. Pape François, Laudato si’ n°189.
  2. Nello Scavo, Les ennemis du pape, Bayard 2016, 400 p.
  3. op cit p. 187
  4. ibid p. 189. Il cite notamment : la Syrie, la République centrafricaine, le Soudan du Sud, le Nigéria, la Terre Sainte, l’Irak, la République démocratique du Congo, la Corne de l’Afrique (Somalie, Kenya, Ethiopie, Erythrée Somaliland et Djibouti…
  5. ibid p.374
  6. Virginie Riva, Ce pape qui dérange, Éd. de l’Atelier, 2016, 180 p. p. 71
  7. Osons, en note, cette ultime provocation : d’ici trois ans une vingtaine de cardinaux vont atteindre l’âge de 80 ans, renouvelant d’autant le corps des électeurs du futur pape. Dans les épiscopats nationaux, nombre d’évêques vont eux-mêmes passer le cap des 75 ans âge requis pour présenter leur démission au Saint-Père. Pour la France continentale ou d’outre-mer, cela représente une vingtaine de nominations. Parmi lesquelles les remplacements de NNSS Vingt-Trois, Ricard et Pontier, tous trois anciens ou actuel, président de la Conférence des évêques de France. Le choix de leurs successeurs ne sera, bien évidemment, pas sans conséquence sur le soutien apporté à la ligne du pape François.

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Pape François
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