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MàJ. Pourquoi le Pape a-t-il démissionné le grand maître de l’ordre de Malte ?

VATICAN-POPE-AUDIENCE-MALTA

GABRIEL BOUYS / POOL / AFP

Pope Francis makes the sign of the cross next to Robert Matthew Festing, Prince and Grand Master of the Sovereign Order of Malta during a private audience on June 23, 2016 at the Vatican. / AFP PHOTO / POOL / GABRIEL BOUYS

Jean Muller - publié le 26/01/17

Règlement de compte entre progressistes et conservateurs ? La réalité de cette affaire est tout autre.

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Le 25 janvier 2017, le pape François a accepté la démission du grand maître de l’Ordre de Malte. Une secousse importante dans une organisation millénaire où certaines langues se délient.

Progressistes contre conservateurs, toujours cette grosse ficelle. Depuis le 25 janvier 2017, toute la presse agite à nouveau ces deux spectres pour essayer de comprendre pourquoi le grand maître de l’Ordre de Malte, Fra’ Matthew Festing, a accepté de démissionner de son poste à la demande du souverain pontife. Alors que d’aucuns y voient déjà la preuve d’un antagonisme entre le cardinal Burke légat du Pape à l’Ordre de Malte  et le souverain pontife lui-même, la réalité de cette affaire qui dure depuis au moins deux mois est tout autre.

Quels sont les faits ?

L’affaire remonte au 6 décembre 2016. Ce jour-là, Fra’ Matthew Festing exige la démission du grand chancelier allemand Albrecht Von Boeselager*, numéro trois de l’organisation et membre de l’ordre depuis quarante ans. La raison ? Celui-ci aurait couvert, en 2005, la distribution de préservatifs par un dispensaire de l’Ordre de Malte dans des camps de réfugiés en Birmanie et dans certains pays africains ou des femmes subissaient des viols. Alors qu’Albrecht Von Boeselager refuse de démissionner, Fra’ Matthew Festing le démet de ses fonctions avec l’assentiment du cardinal Raymond Burke.

Ayant appris cette nouvelle, le Pape décide de diligenter une enquête auprès de l’Ordre de Malte, enquête à laquelle s’est fermement opposé le grand maître de l’Ordre, arguant de la « souveraineté », c’est-à-dire de l’indépendance de l’Ordre vis-à-vis du Vatican. Nonobstant cette opposition larvée, les résultats de l’enquête sont parvenus au Pape vers la mi-janvier et ont abouti à la démission de Fra’ Matthew Festing, obéissant à la demande du Pape.

Le Pape a-t-il pris fait et cause pour un grand chancelier progressiste, contre un grand maître conservateur et un cardinal qui s’oppose ouvertement à lui dans l’affaire des « Dubia » (les doutes émis contre certains points de l’exhortation apostolique Amoris Laetitia par quatre cardinaux dont Raymond Burke) ? L’hypothèse est alléchante mais ne résiste pas à l’examen plus approfondi de toute cette affaire.

Le risque d’une « République bananière »

Ces faits, s’ils sont avérés, doivent en effet être complétés et précisés. Un responsable haut placé de l’Ordre nous a révélé que les deux mois de tensions qui viennent de s’écouler et qui ont abouti à la conclusion que l’on sait, n’étaient que la partie émergée de l’iceberg. Ce serait en fait en 2014, lors de l’élection du Souverain Conseil (qui constitue le gouvernement de l’Ordre) que la dynamique ayant abouti à la démission du grand maître s’est amorcée. Fra’ Matthew Festing, qui en tant que grand maître est élu à vie, aurait composé une liste de collaborateurs qu’il aurait bien vu figurer au sein du Conseil. Seulement, le Chapitre Général (qui rassemble les Chevaliers électeurs) n’en élira aucun ! Le grand maître aurait alors favorisé l’émergence d’un cabinet parallèle composé de collaborateurs non-élus, court-circuitant peu à peu le Souverain Conseil. « Une forme de coup d’État », résume notre informateur.

La destitution d’Albrecht Von Boeselager intervient dans cette logique, visant à remplacer peu à peu les membres du Souverain Conseil par des collaborateurs plus coopératifs. Le refus brutal que le Vatican diligente la moindre enquête, opposé par le grand maître et exprimé au cours de plusieurs échanges en des termes acrimonieux relayés par la presse, apparaît dès lors sous un jour nouveau. Las de cette situation et inquiets pour l’avenir de l’Ordre, plusieurs chevaliers ont répondu à l’enquête diligentée par le Pape et l’ont alerté sur les risques de transformation de l’Ordre en « République bananière ». C’est cette dynamique délétère, enclenchée depuis plus de deux années, qui explique la décision du Pape à l’encontre de Fra’ Matthew Festing.

Quel a été le véritable rôle du cardinal Raymond Burke ?

Cardinalis patronus, c’est-à-dire légat du Pape à l’Ordre de Malte depuis 2014, plusieurs médias affirment que le cardinal Burke aurait lui-même intrigué pour destituer Albrecht Von Boeselager. Il aurait appuyé, sinon fomenté, le départ de celui qui avait Malteser International (les équipes humanitaires de l’Ordre) sous sa responsabilité lors des distributions de contraceptifs il y a onze ans. Un départ que beaucoup interprètent donc comme une vengeance du cardinal Burke à l’égard du Pape, perçu comme plus conciliant sur ces questions (voir l’affaire des « Dubia »).

Selon le National Catholic Register, le pape François, troublé par les révélations du cardinal au sujet de ces manquements anciens mais avérés à l’esprit et à la morale de l’Ordre de Malte, lui aurait pourtant demandé au cours d’une entrevue le 10 novembre dernier de « nettoyer » l’Ordre de « la présence de francs-maçons ». Détaillant son propos, le Saint-Père aurait par la suite souligné les importantes responsabilités qui incombent au légat dans une lettre transmise le 1er décembre 2016, mais jamais rendue publique, à savoir de « supprimer toute affiliation de l’Ordre avec des groupes ou des pratiques qui vont à l’opposé de la loi morale ». Aux dires du magazine, François et le cardinal sont donc sur la même longueur d’onde pour traquer tout abus. Néanmoins, c’est bien Albrecht Von Boeselager qui a obtenu gain de cause à l’issue de l’enquête et Fra’ Matthew Festing qui a été poussé au départ.

Sans avoir lu la lettre et faute de compte-rendu officiel de cette réunion, il est difficile d’imaginer que le pape François ait employé ces mots, n’ayant encore jamais émis l’hypothèse en public du noyautage d’œuvres d’Église par des sociétés occultes. Ensuite, considérer que le cardinal Burke tire les ficelles dans l’ombre est peut-être excessif, dans la mesure où il est représentant du Pape et n’a qu’une influence limitée et aucun pouvoir au sein du gouvernement de l’Ordre. Enfin, si Albrecht Von Boeselager est accusé d’être libéral, il est, selon plusieurs responsables de l’Ordre de Malte, tout à fait en phase avec l’Église sur la question de la contraception. En quarante ans passés au sein de l’Ordre, il n’en a, en tout cas, jamais montré le moindre signe contraire. Le cardinal Burke n’aurait donc eu aucune raison de lui en vouloir personnellement. Ainsi, et c’est l’avis d’un autre responsable de l’Ordre, le cardinal n’aurait joué aucun rôle dans cette affaire si ce n’est d’assister à la convocation d’Albrecht Von Boeselager par Fra’ Matthew Festing qui conduira à son limogeage et d’en avoir référé au Souverain Pontife. La seule question qui demeure est celle de son absence de réaction sur les abus de pouvoir de plus en plus manifestes du grand maître.

Le prétexte des préservatifs et… de la finance

Quoi de mieux que la question des préservatifs pour monter en épingle un débat entre progressistes et conservateurs ? De l’aveu de tous les témoins interrogés membres de l’Ordre, la question de la distribution des préservatifs n’a été qu’un prétexte utilisé pour la destitution d’Albrecht Von Boeselager. En effet, dès qu’il a appris que ces distributions avaient lieu, celui-ci les a immédiatement fait cesser. L’accusation en progressisme est donc nulle et non avenue. La raison du départ du grand chancelier Von Boeselager, qui entretenait par ailleurs des relations cordiales avec Fra’ Matthew Festing, est probablement à chercher du côté des manœuvres du grand maître visant à accroitre l’emprise de son cabinet sur le Conseil.

Les grands médias français soulignent également que le limogeage d’Albrecht Von Boeselager intervient au moment même de la nomination de son frère à la Banque du Vatican « en plein assainissement après avoir été éclaboussée par des scandales ces dernières années » (Le Monde). Seulement, le frère** d’Albrecht Von Boeselager est un expert financier aux compétences reconnues et la conjonction des deux événements (limogeage de l’Ordre pour l’un, nomination à l’établissement financier du Vatican pour l’autre) est, de l’avis de tous, totalement fortuite.

La demande de démission que le Pape a formulée à Fra’ Matthew Festing est donc bien une décision grave, importante et sans précédent. En dépit des cases dans lesquelles les médias français et internationaux aiment à ranger le souverain pontife et les cardinaux, il semble que cette décision soit motivée par une enquête minutieuse dont les résultats sont rigoureusement irréductibles à la logique d’affrontement entre conservateurs et progressistes et qu’ils n’aient rien à voir avec la question de la contraception.

Mise à jour du 30 janvier 2017 : 

Invalidation des actes du Grand maître

Le licenciement d’Albrecht Von Boeselager ayant été jugé abusif, le National Catholic Register a révélé que le Pape avait « décidé que tous les actes accomplis par le Grand maître après le 6 décembre étaient nuls et invalides ». Comme le rapporte I.Média, cette décision s’applique non seulement aux actes de Fra’ Matthew Festing mais également aux décisions du Conseil souverain parmi lesquels l’élection de Fra’ John Critien au poste de Grand Chancelier, poste occupé précédemment par Albrecht Von Boeselager. Ce dernier a par ailleurs été réintégré dans ses fonctions.

Pour pallier la démission du Grand maître et apaiser les tensions entre le Saint-Siège et l’Ordre souverain, le Saint Père a adressé une lettre à l’Ordre de Malte le 27 janvier, lettre rendue publique par Il Faro di Roma dans laquelle le Pape évoque les missions du délégué pontifical qu’il nommera et qui travaillera en étroite collaboration avec Fra’ Ludwig Hoffmann von Rumerstein qui dirige provisoirement l’Ordre en attendant qu’un successeur au Grand maître soit élu. Celui ci sera chargé du « renouvellement spirituel et moral » de l’Ordre de Malte, « en particulier de ses membres qui ont professé leurs vœux d’obéissance, de chasteté, de pauvreté ». Cela parce que le pape François estime que « le témoignage d’une authentique vie chrétienne rend plus accessible et efficace l’accompagnement des malades et plus fraternelle la charité vers les pauvres et les personnes vulnérables de la société ».

Confiant ces remous internes au Seigneur, le Pape a achevé sa lettre en faisant savoir qu’il priait pour que les membres, les volontaires et les bienfaiteurs de l’Ordre « mettent de côté leurs intérêts personnels et les dangereuses ambitions » pour se dédier uniquement à leur mission. (I.Media)


* Albrecht Von Boeselager, juriste de formation et ancien avocat, père de cinq enfants, est entré dans l’Ordre de Malte en 1976. Envoyé à Rome, il est élu grand hospitalier de l’Ordre à cinq reprises de 1989 à 2014 avant de devenir grand chancelier, sorte de Premier ministre de l’organisation caritative. Il est membre du Conseil pontifical pour la Pastorale de la Santé depuis 1990 et, depuis 1994, membre du Conseil Pontifical « Cor Unum » pour les œuvres de bienfaisance du Saint-Siège. Il est le fils aîné d’une grande figure du catholicisme allemand du XXe siècle, l’officier et résistant Philipp Von Boeselager, qui participa à la célèbre opération Walkyrie visant à assassiner Hitler.

** Le baron Georg von Boeselager, diplômé de l’université de Fribourg-en-Brisgau, banquier, est actuellement président du conseil de surveillance de la banque privée munichoise Merck Finck. Il est lui aussi engagé à l’Ordre de Malte.

Tags:
Ordre de MaltePape François
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