Mère Olga Yaqob en a vu des choses en quarante-neuf ans, elle qui a vécu quatre guerres en Irak, son pays natal, avant d’émigrer aux États-Unis et d’y entamer une nouvelle vie. Mais elle n’avait jamais été témoin d’une naissance telle que celle à laquelle elle a assisté dans un petit hôpital de la banlieue de Boston le mois dernier.
“Elle accompagnait une femme dont l’accouchement était très difficile. Elle décida alors de se mettre à genoux et commença à prier”, expliqua Pat Dembrowski, qui travaille au centre d’hébergement pour femmes mis en place par Mère Olga. “L’équipe médicale lui a demandé de se relever, ce qu’elle refusa de faire avant que le bébé ne naisse. Il finit par naître en bonne santé. Il y avait eu un moment critique où la mère et l’enfant étaient tous les deux en grand danger. Mère Yaqob est restée là tout le temps. Nous attribuons cette naissance à sa grande foi ainsi qu’à celle de la mère, car à un moment le cœur du bébé s’était arrêté de battre.”
Le nourrisson et sa mère sont maintenant sortis de l’hôpital et se portent bien. Ils vivent dans une maison intitulée “Les Amis des enfants à naître”. Mère Olga et huit Filles de Marie de Nazareth se sont installées à proximité depuis le mois d’octobre, dans le couvent Saint-Joseph, et elles assistent souvent à la messe dans leur chapelle.
Mère Olga a été comme une mère pour de nombreuses femmes installées dans la maison, car beaucoup d’entre elles sont immigrées et isolées. Et elle sait ce que c’est. Alors qu’elle était arrivée depuis peu à Boston, elle avait été diagnostiquée d’un cancer et avait dû subir les traitements toute seule dans un pays qui lui était étranger.
Le fait de grandir en Irak l’a endurcie, c’est certain, mais elle attribue sa résilience principalement à sa foi. Elle dit avoir reçu la grâce de l’abandon à la divine providence depuis qu’elle est toute petite.
“Si j’ai huit sœurs aujourd’hui et que je meurs dans dix ans, et qu’il y a toujours huit sœurs, loué soit Dieu”, a-t-elle fait savoir récemment au sujet de la communauté qu’elle a créée il y a cinq ans. “C’est Sa volonté. Si jamais il y avait des sœurs qui rejoignaient la communauté après ma mort, loué soit Dieu ! C’est Sa volonté. Je ne fais que Son travail. Cette communauté n’est pas la mienne, c’est la Sienne.”
Née à Kirkouk, elle a grandi dans l’Église Assyrienne de l’Orient. En 1980, alors qu’elle avait 13 ans, son pays entre dans une guerre longue et sanglante contre son voisin iranien. Son école est alors bombardée car on croyait que Saddam Hussein y cachait des armes.
“J’ai vu tellement de cadavres autour de moi, de camarades de classe, de professeurs”, se souvient-elle. “À 16 ans, j’essayais de donner un coup de main à l’Église, car il y avait cinq ou six enterrements par jour. On nous apportait des corps depuis les zones de combat. Ils étaient souvent brûlés et nous ne pouvions même pas les identifier. Je voyais des familles arriver pour essayer d’identifier leurs proches. Une jeune mariée, enceinte, qui n’avait passé qu’un mois avec son mari avant qu’il ne soit appelé sur le front est venue l’identifier alors qu’elle ne pouvait même pas voir son visage du fait qu’il ne restait que le bas de son corps… J’ai été témoin de toute cette souffrance de mon peuple, année après année.”
Elle s’accroche alors à l’espérance. “Ma force et mon courage me venaient de la croix. Ils venaient de Jésus et de sa promesse aux Hommes. Notre force et notre courage ne sont pas humains mais nous sont envoyés du Ciel.”
En 1990, Saddam Hussein envahit le Koweït. La guerre du Golfe qui s’en est suivie a “fait reculer mon pays 200 ans en arrière”, explique Mère Olga. “Nous devions marcher des kilomètres et des kilomètres pour trouver un vieux puits avec de l’eau. Nous n’avions pas l’électricité. J’étais volontaire dans un hôpital pour enfants où nous n’avions qu’une seule couveuse. Je voyais des bébés mourir faute d’avoir pu les mettre en couveuse, et étais témoin de la souffrance terrible de leurs parents.”
L’embargo imposé par les pays occidentaux pour les douze années suivantes a empêché l’Irak de se remettre, affirme-t-elle. “Il n’y avait plus que 40 % de la population qui savait lire et écrire. Comment, dans ces conditions, espérer qu’un pays puisse se reconstruire, si en plus il est sans aucunes ressources du fait de l’embargo ?”
Ne se laissant toujours pas aller au désespoir, Mère Olga lance un mouvement intitulé “Aime ton voisin” réunissant des musulmans et des chrétiens dans le but de récolter des affaires, de la nourriture et des médicaments pour les blessés de guerre, leurs enfants et les personnes âgées ayant perdu leur maison.
“Quand j’entends ce qu’il se passe dans mon pays, sur les chrétiens persécutés et sur ce que leur font les musulmans, tout cela m’est étranger car moi, j’ai travaillé à leur rapprochement. C’est pourquoi j’ai étudié l’Islam. J’ai étudié le Coran du début à la fin, dans le but de me rapprocher des musulmans et de construire des ponts entre eux et les chrétiens, afin que nous puissions reconstruire notre pays et guérir les cicatrices laissées par ces guerres.”
En 1995 elle crée l’ordre des Sœurs “Marthe Myriam” – Missionnaires de la Vierge Marie, le premier ordre de religieuses instauré dans l’Église assyrienne de l’Orient depuis sept cents ans.
Elle se rend ensuite à Boston pour des études en 2001, juste avant les attentats du 11 septembre. Son pays hôte envahit son pays d’origine en 2003. Elle rentre alors en Irak et sert à la fois les Irakiens et les troupes américaines. “J’ai senti qu’il fallait que je sois ce pont”, explique-t-elle.
Elle finit par retourner à Boston pour terminer son Master, mais doit assez vite subir un traitement pour son cancer. En l’absence d’une branche de l’Église assyrienne qu’elle aurait pu rejoindre, elle décide de devenir catholique romaine. Elle est alors engagée par l’archidiocèse de Boston pour servir sur le campus de l’Université.
Après cinq ans passés sur le campus, Sœur Olga se sent prête à rentrer au pays, mais le Cardinal Sean O’Malley l’invite à rester et à discerner sur la possibilité de créer une nouvelle communauté. L’archidiocèse – et l’Église dans son ensemble –traversait une grande crise depuis 2002, quand le Boston Globe avait fait sortir les scandales de pédophilie.
“Il voulait vraiment mettre l’accent sur le côté maternel de l’Église, apporter cette guérison, donner une image de miséricorde dans le diocèse”, se souvient-elle. “À cause de ce scandale, beaucoup de gens avaient quitté l’Église. Il était important d’aller vers ceux qui avaient été blessés, choqués, et d’être présents dans l’Église locale.”