Footballeurs sur la touche et rappeur au chômage, la faute au racisme, à la bêtise ou au nationalisme exagéré ?L’intelligence obscurcie par son idéologie, le maire de Verdun n’a pas compris trois choses essentielles. Premièrement, quand un chanteur prend comme nom de scène le nom d’un tueur, ennemi public n° 1 (Black M, c’est l’abréviation de Black Mesrine), pour le porter comme un étendard, il n’est peut-être pas le mieux placé pour chanter la piété nationale et la réconciliation des peuples, surtout devant la jeunesse.
Une tragique erreur de casting
Deuxièmement, dans une cérémonie de commémoration, on recherche autant que possible un genre musical digne et consensuel, témoin d’un haut degré de civilisation. Or le rap est tout sauf cela : même s’il relève souvent d’un authentique art poétique et musical, il est marqué comme agressif et barbare. De plus il est souvent primaire, d’une extrême vulgarité et polémique au dernier degré. Enfin, il divise puisqu’une majorité de citoyens le trouve inécoutable, voire odieux. Ajoutons qu’en l’espèce, il est arrivé à Black M de chanter des paroles antifrançaises et antichrétiennes explicites. Il a aussi été accusé d’homophobie et d’antisémitisme. Bref, aussi bon artiste que l’on puisse considérer Black M (et il l’est), n’importe quel imbécile aurait compris que pour la célébration du centenaire de la bataille de Verdun, il n’était pas l’homme de la situation.
Pourquoi ne pas organiser des « teufs d’enfer » dans les cimetières ?
Monsieur le maire de Verdun est-il un imbécile ? Quoi qu’il en soit, il fait partie de ces élus qui n’ont de cesse que d’avilir ce qu’ils ont mission d’élever. Peut-il imaginer seulement que des « jeunes » puissent aspirer à se voir initiés à la splendeur des chefs d’œuvre consensuels de la civilisation ? Qu’ils puissent être élevés, à tous les sens du terme, par la beauté dans la communion de beaux sentiments exprimés avec grandeur ? Qu’ils puissent être saisis par le sublime d’une célébration digne, recueillie, émouvante, solennelle ; et, à partir de là, qu’ils puissent comprendre que tout ce qui divise les hommes, tout ce qui les pousse à se dresser les uns contre les autres, a conduit et conduira toujours aux tragédies les plus sanglantes ?
À cet égard, la réaction de M. Hollande est révélatrice : « Cette initiative était prévue après la cérémonie, pour que des jeunes puissent avoir un moment festif. » Quand on est obligé d’expliquer au Président de la République qu’un ossuaire sacré, haut-lieu de la mémoire nationale, n’est pas une boite de nuit, il ne reste plus beaucoup d’espoir… Bientôt, pour former la jeunesse, l’État organisera-t-il des « teufs d’enfer » dans les cimetières après les cérémonies d’enterrements ? Nos grands esprits pensent que tous les jeunes doivent être rendus aussi nuls, vulgaires et pervertis qu’eux-mêmes sont nuls, vulgaires et pervertis. Sentiment trop inavouable, qui fit dire à M. le maire de Verdun – avec le renfort de madame le ministre de la Culture – qu’il avait annulé le concert à cause « d’un déferlement de haine et de racisme ».
La réaction contre Black M n’a pas été motivée par le racisme
Si le maire de Verdun avait invité, par exemple,Pretty Yende et Lawrence Brownlee, chanteurs noirs l’une et l’autre, étrangers de surcroît, à chanter des pièces du répertoire adaptées aux circonstances, il n’y aurait pas eu la moindre protestation ni la moindre crainte de déferlements à avoir, hormis ceux de l’émotion vraie et des applaudissements. Les réactions suscitées par l’annonce du concert de black M n’ont donc pas été motivées par le racisme. Elle traduisent une indignation nationale, compréhensible (bien qu’elle ait parfois trahi un nationalisme exagéré), qui se lève contre l’imbécilité foncière d’un maire et son besoin irrépressible d’abaisser tout ce qui est élevé et de pervertir tout ce qui est beau.
Le football a donné leur chance a MM. Benzema et Ben Arfa
Karim Benzema et Hatem Ben Arfa sont des jeunes gens très doués, virtuoses dans leur spécialité. Ils ont des qualités et des défauts, comme nous tous. Ils ont grandi dans des circonstances et un environnement difficile, au cœur de ghettos de banlieue, soumis à des influences contradictoires et parfois délétères : islam radical ou islam modéré ; amour de l’Algérie ou désir d’intégration en France ; école ou errance au quartier ; bonne conduite ou trafics et deals ; chômage endémique ou vedettariat. Il n’est pas étonnant que leur personnalité reflète ces contradictions qui ont du être difficiles à gérer pour l’enfant, puis l’adolescent qu’ils ont été. Le football et précisément le centre de formation de l’Olympique lyonnais leur ont donné leur chance. Ils l’ont saisie et bien saisie, en dépit de complications, comme les complications furent le cadre de leur maturation humaine.
La décision contre M. Benzema est une décision disciplinaire légitime
Karim Benzema est toujours apparu comme un bon élève et un garçon sympathique, sauf que depuis peu, quelques histoires sordides viennent ternir cette réputation. M. Ben Arfa est toujours apparu comme antipathique et ingérable, sauf qu’en moins d’un an, il s’est brillamment racheté une conduite. Les deux compères gagnent énormément d’argent (58 millions d’euros par an pour le premier). Benzema, promis aux avant-postes de l’équipe de France, a commis une sordide et impardonnable bêtise (et peut-être pas qu’une). Si bien que le Président de la Fédération française de football s’est vu obligé de prononcer sa “non-sélectionnabilité” dans l’Équipe de France. Ledit Président a pris là une décision disciplinaire qu’il était habilité à prendre, conformément à la charte éthique signée par le joueur lui-même. Sa décision, prise à regret car il apprécie M. Benzema, est incontestable. Le sélectionneur, Didier Deschamps, n’y est strictement pour rien et il est obligé de s’y soumettre. C’est donc tout-à-fait à tort que M. Benzema parle de sa non-sélection en disant : “Didier Deschamps a cédé à une partie raciste de la France”.
Le premier devoir d’un sélectionneur est précisément de sélectionner
Ben Arfa, lui, a été présélectionné comme doublure, pour éventuellement remplacer un titulaire qui se serait blessé pendant la préparation. Comme tel ne fut pas le cas, il a dû quitter l’équipe de France avant le commencement de la compétition. Ne pas retenir M. Ben Arfa comme titulaire a été la décision souveraine du sélectionneur, qui est à ce poste précisément pour sélectionner. Cette décision, sur le plan purement sportif, n’est pas sérieusement contestée.
Seulement voilà : du fait des non-sélections de MM. Benzema et Ben Arfa, plus aucun joueur originaire du Maghreb ne figure dans le groupe des vingt-trois joueurs sélectionnés. Immédiatement, des professionnels de l’indignation unilatérale ont crié au complot raciste. Sans aucune vraisemblance mais qu’importe : l’antiracisme est une arme de disqualification médiatique et sociale des adversaires, qui frappe tous azimuts, sans la moindre préoccupation de vraisemblance et encore moins de culpabilité. Là encore, la bêtise joue un grand rôle, dont Eric Cantona remporte la palme, lui dont la vitrine est déjà bien pleine de trophées de même nature. Cantona n’a pas craint de déclarer : “[…] Deschamp raciste ? Peut-être non, peut-être oui. Pourquoi pas ? Une chose est sûre, Benzema et Ben Arfa sont les deux meilleurs joueurs français et ils ne seront pas à l’Euro. Et pour sûr, Benzema et Ben Arfa ont des origines nord-africaines”.
Ce qui est en cause n’est pas le racisme mais le nationalisme
Mais des gens comme Jamel Debbouze ou Karim Benzema ne sont pas des idiots. Et ce qu’ils disent ne relève pas de l’anti-racisme idéologique mais du nationalisme. Jamel Debbouze dit notamment : « Ça me fait mal […] de n’avoir aucun de nos représentants en équipe de France ». De qui parle M. Debbouze ? Des « jeunes de banlieue » d’origine maghrébine et plus précisément d’origine algérienne. En vérité, le conflit n’oppose pas tant les races que les nationalismes algériens et français (l’islam interfère aussi, mais ce serait trop long de traiter cette question ici et nous en reparlerons).
Souvenez-vous du match France-Algérie au stade de France, où la Marseillaise a été copieusement sifflée par la grande majorité des spectateurs présents, lesquels agitaient le drapeau algérien, au point que le Président Chirac a dû quitter le stade ! Qui étaient ces spectateurs ? De jeunes français. Voyez-vous aujourd’hui les hésitations des jeunes sportifs français d’origine algérienne, quand il s’agit de choisir entre l’équipe de France et l’équipe d’Algérie ? Demain Jamel Debbouze n’aura pas de représentants en équipe de France, non parce qu’ils n’y auront pas été sélectionnés mais parce qu’ils auront choisi l’équipe d’Algérie.
Karim Benzema est de la génération précédente, moins radical, plus foncièrement conciliant. Et grâce à son père spirituel, Zinédine Zidane, il a appris à aimer l’équipe de France. En 2006, il parlait de son choix final de jouer pour l’équipe de France, éclairant bien la problématique actuelle : « Moi je dis l’Algérie, voilà… C’est le pays de mes parents, c’est dans le cœur. Mais bon après sportivement, c’est vrai que je jouerai en équipe de France. Je serai là toujours présent pour l’équipe de France ». Ajoutant : « C’est plus pour le côté sportif, parce que l’Algérie c’est mon pays, voilà, mes parents ils viennent de là-bas. Après, la France… C’est plus sportif, voilà ». Karim Benzema a une patrie de cœur et une patrie sportive. Il s’agit là encore d’une question relevant du nationalisme.
Quel chrétien peut, sans problème de conscience, chanter La Marseillaise ?
Et il s’agit tout autant de nationalisme chez tous ceux qui voudraient voir Benzema exclu de l’équipe de France pour d’autres raisons que sportives ou disciplinaires. Par exemple ceux qui lui reprochent de ne pas chanter La Marseillaise. Celui-ci leur répond : « […] il faut se calmer. J’aime bien l’équipe de France, comme je l’ai dit c’est un rêve pour moi de jouer pour l’équipe de France. On ne va pas me forcer à chanter La Marseillaise… » Réponse aussi intelligente que franche. En équipe de France, Benzema se considère comme un mercenaire au bon sens du terme. Depuis les Suisses de l’Ancien Régime, ce sont souvent les meilleurs soldats. Et tous les grands clubs, Real et Barça en tête triomphent avec des mercenaires. Alors, s’il est loyal et fidèle à l’équipe de France, pourquoi forcerait-on M. Benzema à chanter La Marseillaise ? D’autant que même pour un bon chrétien, il est difficile de faire sien cet hymne hérité d’une Révolution sanglante, prototype de tous les régimes totalitaires et génocidaires. Quel chrétien peut, sans problème de conscience, formuler ce vœu à l’égard d’autres êtres humains : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons » ?
A Verdun, nos sillons ont été, ô combien, abreuvés. Était-ce par « un sang impur » ?
Nous revoici à Verdun, où La Marseillaise a retenti lors des célébrations comme elle retentissait pendant le carnage. Si j’avais été présent, à l’instar de Benzema, je ne l’aurais pas chantée : qui peut encore laisser croire qu’à Verdun le sang impur de 337.000 soldats allemands a abreuvé nos sillons ? Se mêlant au sang, sans doute pur celui-là, de 378.000 soldats français ? J’aurais gardé un silence de profond recueillement, en méditant Ad beatissimi, l’encyclique du pape Benoît XV publiée à la Toussaint 1914. « Ils semblent vraiment être arrivés ces jours dont Jésus-Christ a dit : ‘Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres… Car une nation s’élèvera contre une autre nation, et un royaume contre un autre royaume ; et il y aura des horreurs en tous lieux.‘ De tous côtés domine la triste image de la guerre, et il n’y a pour ainsi dire pas d’autre pensée, qui occupe les esprits. Des nations – les plus puissantes et les plus considérables – sont aux prises : faut-il s’étonner si, munis d’engins épouvantables, dus aux derniers progrès de l’art militaire, elles visent pour ainsi dire à s’entre-détruire avec des raffinements de barbarie ? Plus de limites aux ruines et au carnage : chaque jour la terre, inondée par de nouveaux ruisseaux de sang, se couvre de morts et de blessés… À voir ces peuples armés les uns contre les autres, se douterait-on qu’ils descendent d’un même Père, qu’ils ont la même nature et font partie de la même société humaine ? Les reconnaîtrait-on pour les fils d’un même Père qui est aux Cieux ? »
Ne pas dépasser la dose prescrite
Aujourd’hui, Dieu merci, en Europe, on ne se fait plus guère la guerre (il serait trop long ici d’aborder la question du terrorisme). Alors, en France, le nationalisme s’est reporté sur l’économie, sur la construction européenne, et sur ces petites batailles organisées, disciplinées et de plus en plus civilisées que sont les matchs de football. C’est heureux car à faible dose le nationalisme renforce le dynamisme des peuples par l’esprit de concurrence et sauvegarde le génie propre de chaque culture. Et en sport, il rend les compétitions passionnées et passionnantes. Mais au-delà de la dose prescrite, le nationalisme rend bête et empoisonne tout ceux qu’il infeste. Heureusement, dans le sport les conséquences seront toujours moins graves qu’à Verdun. Cependant, on voit bien que les polémiques dans le football révèlent une véritable fracture dans la société française. Alors, prions pour que les expressions exagérées du nationalisme restent toujours circonscrites aux rubriques sportives.