Le pape François est rentré de Lesbos avec douze réfugiés syriens, dont six enfants. Il s’agit de trois familles musulmanes qui ont fui leur pays après le bombardement de leurs maisons à Damas et Deir ez-Zor, ville assiégée par Daesh. “C’est un geste humanitaire… pas un privilège. Ces douze sont tous des enfants de Dieu et je privilégie les enfants de Dieu !”, a expliqué le pape à la presse qui l’accompagnait dans l’avion. Et d’ajouter : “Leurs papiers sont en règle. Cela a été organisé par la Secrétairerie du Saint-Siège, en collaboration avec les gouvernements italien et grec”. Les trois familles ont été confiées à la communauté de Sant’Egidio. Elles sont arrivées sur l’île grecque avant la conclusion, le 20 mars dernier, de l’accord entre Bruxelles et Ankara qui prévoit le renvoi des migrants en Turquie.
Les migrants ne sont pas des numéros
L’accueil de ces trois familles est le couronnement d’un samedi 16 avril chargé d’émotions pour ce Pape, accueilli samedi 16 avril sur l’île de Lesbos en grand défenseur de la cause des réfugiés, aux côtés du Patriarche œcuménique Bartholomée de Constantinople et de l’archevêque orthodoxe Hiéronyme (Jérôme) d’Athènes. D’abord, le matin, à l’intérieur du centre d’accueil et d’enregistrement de Moria où vivent entassés près de 3 000 migrants, puis sur le port de Mytilène, la capitale de l’île, où les trois religieux ont rendu hommage aux “victimes des migrations” (près de 400) et rencontré les habitants de l’île.
“Beaucoup de leurs tombes ne portent aucun nom, a déclaré le Pape au cours de la cérémonie sur le port, en présence des habitants et de la communauté catholique. Puissions-nous ne jamais les oublier, mais honorer leur sacrifice plus par des gestes que par la parole.” Après une prière, et une minute de silence, les trois religieux ont lancé des couronnes de fleurs dans la mer, répétant le geste du pape François à Lampedusa, en juillet 2013. Le Saint-Père a reconnu que “les préoccupations des institutions et des personnes, en Grèce comme dans d’autres pays d’Europe, étaient compréhensibles et légitimes”, mais l’Europe, a-t-il rappelé fermement, est la patrie des droits humains, et “quiconque pose le pied en terre européenne devrait pouvoir en faire l’expérience”. Il a prié Dieu de tirer les hommes du “sommeil de leur indifférence” , de les “délivrer” de cette insensibilité due à trop de “confort mondain et d’égocentrisme”.
“Avant d’être des numéros”, les migrants sont “des personnes, des visages, des noms, des histoires”, a-t-il rappelé en reprenant son tweet du jour, posté avant son arrivée sur l’île grecque : “Les réfugiés ne sont pas des nombres, ce sont des personnes… et ils doivent être traités comme tels”. Après avoir exprimé son admiration au peuple grec qui, “malgré les graves difficultés à affronter, a su tenir ouverts les cœurs et les portes” aux migrants, le pape a lancé un appel “plein de tristesse” à la responsabilité et à la solidarité de tous face à cette situation dramatique, “la pire catastrophe humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale”, a-t-il estimé dans l’avion juste avant d’arriver à Lesbos.
Construire des ponts et non des murs
Dans son discours sur le port de Mytilène, le Pape a rappelé les principes de la vraie solidarité humaine : “Pour être vraiment solidaires avec celui qui est contraint de fuir de sa propre terre, il ne suffit pas de se limiter à faire face à l’urgence du moment, mais il faut développer des politiques de longue haleine, qui ne soient pas unilatérales. Avant tout il est nécessaire de construire la paix là où la guerre a apporté destructions et mort, et empêcher que ce cancer se répande ailleurs. Pour cela il est nécessaire de s’opposer avec fermeté à la prolifération et au trafic des armes, et de leurs réseaux souvent occultes. Que ceux qui poursuivent des projets de haine et de violence soient privés de tout soutien. En revanche, que la collaboration entre les pays, les Organisations internationales et les Institutions humanitaires soit promue inlassablement, non pas en isolant mais en soutenant celui qui fait face à l’urgence”.
Dans cette perspective, le Pape espère que le premier Sommet humanitaire mondial, qui aura lieu à Istanbul les 23 et 24 mai prochains, sera un succès. A ceux qui veulent construire des murs, pour se sentir plus en sécurité, il a rappelé que “les barrières créent des divisions, au lieu d’aider le vrai progrès des peuples, et les divisions provoquent tôt ou tard des conflits”. Il le redira à bord de l’avion qui le ramenait à Rome : “J’ai toujours dit que construire des murs n’était pas la solution. Nous devons établir des ponts, mais ceux-ci doivent se construire avec intelligence, par le dialogue et l’intégration”.
Regarder les réfugiés en face
En se prêtant au traditionnel échange de questions-réponses des journalistes, il a confié avoir vécu à Lesbos “un voyage trop court, trop fort”, encore très visiblement ému, rapporte Radio Vatican, par l’atmosphère “triste et émouvante” de ces quelques heures passées au milieu de ces milliers de migrants menacés de “refoulement” vers la Turquie. Comment ne pas l’être après avoir vu cet homme s’effondrer en larmes à ses pieds, devant cette femme criant et le suppliant de la bénir, et devant cette petite fille, en sanglots qu’il a relevée et consolée en caressant son visage, au cours de sa visite au centre d’accueil de Moria, dans la matinée ? Le Pape l’avait annoncé dans l’avion juste avant d’arriver à Lesbos : ce voyage “est un peu différent des autres (…) un voyage marqué par la tristesse, à la rencontre de la plus grande catastrophe humanitaire depuis la seconde guerre mondiale. Nous allons voir tant de gens qui souffrent, qui fuient et qui ne savent pas où aller”.