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Jean-Baptiste Noé : « Le Vatican est la première puissance diplomatique du monde »

TOWER OF THE WINDS Vatican Observatory

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Charles Fabert - publié le 21/10/15

Jean-Baptiste Noé est écrivain et historien. Dans son livre "Géopolitique du Vatican", publié en 2015 aux presses universitaires de France, il expose les grandes lignes de la diplomatie du Vatican, Entretien.

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Aleteia : Quelle différence peut-on faire entre l’Église, le Saint-Siège et le Vatican ?
Jean-Baptiste Noé : L’Église est le Corps mystique du Christ ; elle a été voulue et fondée par Dieu, sa réalité est tout autant spirituelle que temporelle. Le Saint-Siège est un État, fondé en 752 grâce à l’aide du roi des Francs Pépin le Bref. En tant qu’État, il a un chef, le Souverain Pontife, des diplomates, une armée, et une reconnaissance internationale. Le Vatican désigne un territoire : c’est la cité du Vatican, quartier situé au nord-ouest de Rome, par-delà le Tibre.

Souvent, on confond Vatican et Saint-Siège, alors que ce sont deux réalités juridiques différentes. Entre 1870 et 1929 (accords du Latran avec l’Italie), le Vatican est occupé par l’Italie, mais le Saint-Siège demeure en tant qu’État et conserve des relations diplomatiques.

Quels sont les atouts du Vatican qui lui permettent de peser dans les relations diplomatiques ?
Son réseau diplomatique est un des plus importants au monde : il entretient des relations avec 180 États, soit plus que les États-Unis. Son réseau d’information est également une de ses grandes forces, car il est informé de tous les mouvements qui se passent dans le monde.

Le Vatican entretient des relations avec 180 États, 12 de plus que les États-Unis.

Mais sa véritable puissance réside dans sa profondeur historique et culturelle. C’est un État qui a de la mémoire, quand beaucoup de pays occidentaux sont amnésiques, ce qui lui permet d’avoir une approche réaliste des relations internationales. Sur bien des dossiers, c’est la position du Vatican qui était la bonne : dossier irakien en 1991 et 2003, Syrie en 2013, enjeux environnementaux.

Sur le dossier environnemental, le Vatican évoque ce sujet depuis plusieurs décennies. Jean Paul II comme Benoît XVI en ont abondamment parlé durant leur pontificat, insistant sur les liens intangibles entre défense de l’environnement et défense de l’homme.

La diplomatie est-elle une activité que le Saint-Siège considère comme importante ?
Le Saint-Siège est le premier État à avoir créé une école pour former des diplomates : l’Académie des nobles ecclésiastiques, qui fut fondée sous le pontificat de Clément XI en 1701. Cette académie a servi de modèle à toutes les autres écoles européennes, et elle continue de former les membres du corps diplomatique. Lors du congrès de Vienne, en 1814, les participants ont reconnu aux nonces le statut honorifique de doyen du corps diplomatique, statut qui fut confirmé lors du congrès de Vienne de 1963, avec l’appui des États musulmans et communistes.

Il est vrai que dans le grand vent de destruction de l’Église des années 1970, certains ecclésiastiques ont pu demander que l’Église se sépare de sa diplomatie, au motif que cela ne correspondait pas à sa mission. C’était se tromper lourdement sur la vocation de l’Église dans le monde. Quand le Pape parle à la tribune de l’ONU, il est invité en tant que chef d’État. Depuis Paul VI, tous les Papes y ont fait des interventions très remarquées.

Quels sont les Papes qui ont marqué la diplomatie vaticane ?
Pour l’époque contemporaine, Léon XIII (1878-1903), qui a donné une nouvelle ampleur au Saint-Siège après la perte des États pontificaux. Il est lui-même diplomate, ayant été ambassadeur en Belgique. On pourrait bien sûr évoquer Benoît XV pendant la Grande Guerre. Sa vision de l’ordre européen est celle qui prévaut aujourd’hui. Pie XII, immense diplomate, à qui l’on doit les condamnations très fermes et sans ambiguïtés du nazisme et du communisme. C’est un Pape qui a compris les enjeux contemporains bien avant de nombreux chefs d’État.

Jean XXIII est un autre diplomate, nonce à Paris, qui a empêché le conflit nucléaire entre les États-Unis et l’URSS lors de la crise de Cuba (1962). Benoît XVI, sans être issu du corps diplomatique, restera certainement comme un Pape très important pour la diplomatie pontificale. Il a restauré les liens avec la Russie, conclu de nombreux accords avec les pays arabes, dont l’Iran. Dans les décennies à venir, on se rendra compte que sa vision de l’Europe et sa compréhension du relativisme étaient précurseurs.

Pour évoquer les préoccupations du Vatican, vous évoquez la romanité, à laquelle serait lié le christianisme. Quels sont ces éventuels héritages, et pour quelles conséquences ?
La romanité est la clé de compréhension de l’Histoire de l’Église. Tout le christianisme est l’héritier de Rome, aussi bien la Rome latine que la Rome grecque, ces deux poumons occidentaux et orientaux que Jean Paul II n’a eu de cesse de faire respirer ensemble, et dont Léon XIII percevait déjà qu’ils seraient le pivot stratégique du monde contemporain.

Toute la forma mentis du christianisme est romaine : sa langue – le latin et le grec –, sa culture, les concepts philosophiques et théologiques qui façonnent la pensée chrétienne. En parlant de romanité, je n’exclus pas le judaïsme, qui est une autre composante essentielle du christianisme. Bien au contraire, car le judaïsme est lui aussi largement hellénisé. Que l’on pense à Flavius Josèphe, qui est un juif de langue grecque, né à Jérusalem et mort à Rome, ou encore à la traduction en grec de la Bible des Septante à Alexandrie.

Benoît XVI, sans être issu du corps diplomatique, restera certainement comme un Pape très important pour la diplomatie pontificale.

Mais il est vrai qu’en France nous avons trop tendance à réduire Rome à sa partie occidentale, oubliant l’Orient romain, dont l’Empire a perduré jusqu’en 1453. Ainsi, quand on analyse la fracture de l’Église au XVIe siècle, on constate que les territoires qui se sont détachés de Rome sont ceux qui n’avaient pas été romanisés. La frontière est très nette en Allemagne. La révolte de Luther est d’abord une révolte contre Rome et la romanité, et pour l’affirmation de la germanité.

Quels sont les objectifs du Vatican dans la diplomatie internationale ? Y a t-il certains sujets plus importants que d’autres ?
Le Vatican lutte pour des idées et pour la défense de l’homme. Le sujet central aujourd’hui est la lutte contre le relativisme, qui veut non seulement effacer la vérité, mais surtout effacer l’homme en dissolvant sa dimension culturelle et spirituelle. Dans l’Église, la ligne de faille n’est pas entre progressistes et conservateurs, mais entre ceux qui se soumettent au relativisme et à l’abolition de l’homme, et ceux qui proclament que l’homme est fils de Dieu.

Pour éclairer l’actuelle crise des migrants, pouvez-vous revenir sur la position qui a été celle des derniers Papes et distinguer si rupture il y a eu avec le pape François ?
Il n’y a pas vraiment de rupture, même si chaque Pape parle avec son style. Face à un phénomène d’une grande complexité, la voix de certains prélats est parfois quelque peu trop simple. L’Église, en tant qu’institution, n’a pas vraiment de solution concrète : elle se limite à des principes généraux, ce qui est son rôle. Mais le discours tenu par les prélats d’Europe et par ceux vivants dans les pays émetteurs de migrants est souvent assez antinomique. Les évêques d’Orient appellent leurs fidèles à ne pas partir, pour ne pas faire le jeu de Daesh et pour ne pas vider l’Orient de ses chrétiens. C’est la même chose en Afrique : plusieurs évêques ont pris position contre les migrations, car ils constatent que cela dépeuple leur pays de ses forces vives. Benoît XVI avait évoqué ce « miel amer » de l’émigration lors de son voyage au Liban en 2012.

Comment se situe le Saint-Siège vis-à-vis de l’idéologie mondialiste qui sévit de nos jours, et donc de l’uniformisation qu’elle entraîne ?
Comme nous l’évoquions précédemment, le Saint-Siège demeure l’un des rares États à lutter contre le relativisme. L’uniformisation, c’est d’abord la volonté d’éradiquer la culture de l’homme, afin de le réduire au statut de bête, forcément plus malléable et plus manipulable. C’est un nouveau totalitarisme. L’Église a toujours été le rempart contre ces déviances idéologiques. Le mondialisme prône l’effacement de Dieu. Léon XIII a eu cette formule percutante : « L’athéisme, c’est le culte de l’État ». Nous en sommes toujours là. En prônant la véritable et saine laïcité, le Saint-Siège empêche l’émergence des idéologies politiques qui se transforment ensuite en religion politique, par le culte de l’État, l’effacement de Dieu et donc l’abolition de l’homme.

Historiquement, la République était anticatholique. Qu’en est-il de la démocratie qui lui est souvent (et rapidement) associée ?
C’est un sujet très complexe. Pour le dire en peu de mots, la République et la démocratie, en tant que formes politiques, ne s’opposent pas au christianisme. En revanche, la République et la démocratie, pensées comme des religions politiques, sont bien évidemment ennemies irréductibles du christianisme. Dans le cœur des hommes, il ne peut pas y avoir de place pour deux amours : c’est Dieu ou l’État. La démocratie qui respecte le principe de subsidiarité et la liberté des consciences est à défendre. La démocratie qui veut tout contrôler, qui intime aux peuples pour qui ils doivent voter, et qui veut cantonner la foi à la sphère privée est une doctrine politique dangereuse. Mais l’exemple de l’effondrement du communisme témoigne que l’on ne peut jamais éradiquer complètement la foi de tous les hommes.

Géopolitique Vatican
© puf

Géopolitique du Vatican, Jean-Baptiste Noé, PUF, 2015, 20 euros.

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