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“Notre agriculture et notre civilisation moderne sont à l’image du mythe de Faust : tout savoir est un pouvoir”

Nicolas Supiot et ses blés2

Nicolas Supiot

Sylvain Dorient - publié le 26/09/14

Semer, faire croître et récolter... C'est la profession de foi d'un semeur, Nicolas Supiot, qui voit dans ses activités quotidiennes des signes de Dieu.

Vous pensez que la présence de Dieu se ressent dans la Nature. De quelle façon l’expérimentez-vous ?
Nicolas Supiot :
 La nature nous renvoie une image du divin, et mieux nous connaissons la nature, plus la représentation des paraboles de Jésus s’impose à nous. Elle progresse, comme nous l’enseigne l’évolution. Elle réalise des êtres de plus en plus coopératifs, de plus en plus diversifiés. Ces lois sont valables pour tous les êtres vivants, des bactéries au animaux en passant par les plantes. L’idée selon laquelle le « hasard » expliquerait cette tension vers la complexification et la diversité semble absurde pour qui fréquente le vivant. Les scientifiques qui s’interrogent sur l’évolution n’ont d’ailleurs pas de mal à démontrer qu’il est statistiquement impossible que le vivant évolue par succession de « hasards ». 

Ainsi vous ne croyez pas en un « cycle éternel », comme beaucoup d’écologistes et de religions. Mais vous supposez que la nature « avance » ?
Nicolas Supiot :
C’est ce que l’on constate quotidiennement lorsque l’on travaille avec ses propres semences. Chacune de mes générations de blé s’adaptent et sont supérieures en diversité à celles des années précédentes. Bien sûr, il peut y avoir des accidents ponctuels, mais la nature tend à « s’améliorer ». En fait même les accidents participent à l’amélioration de la nature. Un stress, comme une invasion d’insectes, pousse une plante à développer de nouvelles alliances au sein du vivant… Des alliances que l’on qualifie de façon réductrice de défense. La diversité de la nature, même dans ses parties qui nous paraissent nuisibles au premier abord, participe de son équilibre. Et il en va de même au niveau microbiologique, un corps dépourvu de bactéries ne serait pas viable !

La diversité, c’est la santé ? Que faites-vous des bactéries pathogènes, qui entraînent des maladies ?
Nicolas Supiot :
À la fin de sa vie, Pasteur disait « la bactérie n’est rien, le terrain fait tout ». Si un organisme vivant possède une biodiversité microbiologique bien équilibrée, il sera en bonne santé. Si on bouleverse cet équilibre par des pratiques trop intrusives, c’est systématiquement une bactérie ou un champignon qui devient alors pathogène et qui prend le dessus. Cette vision est à l’inverse des pratiques de l’agriculture moderne, qui éradique les insectes et les maladies bénignes à grands coups de pesticides. Vous savez, dans nos corps les bactéries sont en supériorité numérique par rapport à nos propres cellules, et nous ne pourrions pas vivre sans elles !

Votre vision de l’agriculture et du vivant semble incompatible avec l’agriculture conventionnelle. Xomment expliquez-vous que la plupart des agriculteurs ne partagent pas vos méthodes de culture et votre philosophie ?
Nicolas Supiot :
La plupart des agriculteurs sont formés à cette agriculture comme si elle était la seule possible et sont pris dans un cycle de dettes et de courses au subventions qui les empêche de faire leur travail de la façon que certains souhaiteraient. Fondamentalement, je crois que les choix de l’agriculture conventionnelle, à savoir blés « clonés », labours profonds, utilisations de pesticides… reflètent un effroi devant la complexité et la beauté de la Création. Cela demande de l’humilité d’accepter de ne pas tout comprendre et de collaborer avec la nature au lieu de tenter de l’arraisonner. On tente de la simplifier, de la réduire à notre échelle, mais en faisant cela on l’anéantit. Or elle est notre nourrice… 

N’êtes-vous pas trop alarmiste ?
Nicolas Supiot :
Je le constate tous les jours. Les champs de la Beauce ont perdu en 50 ans jusqu’à un mètre de terre arable à cause de l’agriculture moderne intensive. L’usage des pesticides détruit les sols et les défenses naturelles des plantes en plus de la biodiversité. Je vois dans les champs qui jouxtent les miens des blés qui n’ont presque pas de racines, complètement dépendant des engrais et pesticides de synthèses… Et malgré toute ces contraintes que l’on inflige à la nature, le rendement global est franchement mauvais. Saviez-vous qu’en agriculture conventionnelle, on utilise de 7 à 12 calories pour en produire une ? Sans les subventions, ce modèle s’effondrerait inexorablement.

Comment expliquez-vous le succès de l’agriculture « conventionnelle » dans la conscience collective ?
Nicolas Supiot :
Je pense que notre agriculture et notre civilisation moderne sont à l’image du mythe de Faust dans lequel le diable dit en substance « tout savoir est un pouvoir ». Par ton pouvoir, tu peux dominer le monde et devenir l’égal de Dieu, faisant ainsi l’économie du cheminement véritablement humain d’humilité et de transcendance. La question qui se pose est celle de la place de l’homme au sein de la Création. L’homme est invité à en être le jardinier, à s’émerveiller de l’incroyable sagesse qui est à l’oeuvre en son sein, de s’en instruire et d’y collaborer. Plutôt que de vouloir régenter ce qui nous dépasse tels des enfants capricieux. 

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